Brouage, une étoile de pierre oubliée par l'océan.
Aujourdhui, je vous emmène en ballade entre les murs d'une citée fortifiée, située environ à 6 km au nord de Marennes et à quelques encâblures de l'île d'Oléron. Isolé, au milieu des marais, le village de Brouage fait parti du cercle très fermé des "Plus beaux villages de France" et bénéficie du climat très agréable de Charente-Maritime, région Nouvelle Aquitaine.
Brouage fut fondée en 1555 par un seigneur de la châtellerie de Hiers, Jacques de Pons. En effet, au 16° siècle, pas de marais mais les eaux du golfe de Saintonge léchaient les abords de la ville. Il fût décidé de construire un nouveau port pour le commerce du sel, denrée aussi précieuse à l'époque que l'or aujourd'hui. Les meilleurs ingénieurs furent diligentés successivement au cours du temps pour fortifier ce lieu stratégique: Pierre de Conti d'Argentcourt, puis Vauban à l'architecture reconnaissable entre toutes et enfin Ferry.
Aujourd'hui, le golfe s'est comblé et les innombrables petites îles de Saintonge font partie intégrante du continent avec un sol privilégié pour des "prés salés" avec sa faune et sa flore spécifique. Il n'est pas rare de voir batifoler au milieu des roseaux, aigrettes, hérons et autres busards à deux pas de la réserve naturelle de Moëze-Oléron.
Afin de situer les divers édifices qui vont émailler cette visite, voici une vue satellitte et un plan succinct du village fortifié.
Après avoir vu les remparts parsemés d'échauguettes se rapprocher,
et franchi la porte d'Hiers ornée de son message de bienvenue,
la voiture abritée à l'ombre des arbres de la Place d'Armes et sous la garde rapprochée d'un couple particulier,
la citadelle et plusieurs bâtiments militaires restaurés depuis 1950 s'offrent à la découverte.
La glacière.
Ce bâtiment insolite date de 1688. Semi-enterré et situé sur le bastion le moins exposé aux intempéries, le bastion du Caillou rebaptisé Bastion de Richelieu, il permettait, comme son nom l'indique, de conserver jusqu'à 22 tonnes de glace dans son puit maçonné de 4 mètres de profondeur.
Il était proche de l'hôpital, grand consommateur de glace pour les soins et la conservation des remèdes. Il permettait aussi d'améliorer l'ordinaire des invités de marque du gouverneur de l'époque, le Duc de Richelieu, en présentant des entremets et des sorbets lors des repas.
Avec la porte orientée au nord afin d'éviter la chaleur, on accédait à la réserve par un escalier toujours présent aujourd'hui.
La protection de l'ensemble est assurée par une couverture en bois de 6,40m de circonférence.
Cheminant le long du chemin de ronde, découvrons au plus prés des remparts différentes échauguettes profitant d'une vue imprenable sur les marais.
La poudrière de la Brèche.
Ce bâtiment construit en 1692 était capable de stocker 20 tonnes de poudre conservée dans de petits tonneaux en bois. Sa distribution était assurée par un acheminement vers les différentes garnisons en place par le port souterrain. En 1910, cet édifice a été dédié provisoirement au culte. Aujourd'hui il abrite des expositions informatives.
Comme lieu hautement convoité, la poudrière est protégée d'un mur d'enceinte, l'allée pavée facilitant la surveillance par la garde armée.
Avant de partir, une plaque de reconnaissance envers David MacDonald Stewart, fondateur de l'Association France-Canada, retient l'attention. Il a permis la sauvegarde de la poudrière de la Brèche. Le Canada est intimement lié à ce petit coin de France comme nous le verrons plus loin.
Cet été, l'exposition concernait la cistude, tortue vivant dans les marais de Brouage et intégralement protégée en France depuis 1996. Elle fait partie de la liste rouge régionale des amphibiens et des reptiles.
Le port souterrain.
Ce port permettait le chargement et le ravitaillement des navires ancrés au large, hommes, poudre, nourriture ...etc, sous la protection des remparts de la forteresse. L'accès, proche de la poudrière, est creusé dans un bastion. Les fortifications s'achevant en 1631, le port fut fermé au 18° siècle puis ré-ouvert en 1986 mais sur le marais.
Le quai témoigne de la présence de l'océan au bas des remparts. Sous sa voûte, on imagine sans peine le trafic maritime du 17° siècle.
Les remparts en surplomb, frappés d'armoiries sont relativement impressionnants.
La tonnellerie et la Halle aux vivres.
Située dans l'ancien Îlot de la Halle, la tonnellerie fût à moitié détruite pour construire le rempart voisin devenant le magasin des fournitures. Il était destiné à la fabrication des tonneaux, le dernier maillon de la chaîne du travail de la poudre.
A son coté, s'élève un long bâtiment de briques rouges: La Halle aux vivres permettant d'entreposer de quoi subvenir aux besoins de la garnison même en cas de siège. Son édification a commencé en 1631. Elle abritait les vivres et le vin dans des tonneaux au rez-de-chaussée et des céréales au 1° étage mais au cours des siècles, elle a été affectée à différentes destinations comme une prison pour religieuses en 1793, image de la mutation constante de la citadelle. En 1929, l'étage a été détruit et ce n'est qu'en 1989 qu'ont débuté les travaux de restauration selon le plan de 1754. Aujourd'hui il abrite sous ses belles voûtes une exposition permanente de maquettes, notamment celles des bâtiments disparus comme l'arsenal, un espace librairie consacré à l'architecture militaire et aux échanges internationaux ainsi qu'un buste en bronze de Samuel Champlain.
Qui est Samuel Champlain? Grand navigateur, cartographe, explorateur, géographe... il est né à Brouage entre 1574 et 1550 d'Antoine Champlain, capitaine de marine. Il est élevé dans cette place forte stratégique résolument tournée vers les activités maritimes. Il apprend certainement, dès son plus jeune âge, les rudiments de navigation à bord du bateau de son père.
Son oncle, Guillaume Allène, corsaire et capitaine de marine également, contribue à développer son esprit observateur et aventurier. Ces qualités lui serviront pour écrire ses différentes missions exploratrices du continent nord-américain.
C'est en 1603, qu'il embarque à Honfleur sur les traces de Jacques Cartier, pour sa première traversée en direction de terres méconnues qui deviendront la Nouvelle-France et où il fondera Québec le 3 juillet 1608. Durant sa vie il effectuera pas moins de 23 voyages entre les deux continents. A sa mort, le 25 décembre 1635, avant d'avoir terminé la fondation de Montréal qui n'aura lieu qu'en 1642, la petite colonie ne possède que 150 membres. Aujourd'hui elle s'élève à plus de 7 millions d'âmes. Il est inhumé dans l'église de Notre Dame de la Recouvrance à Québec.
Un lac du Canada porte le nom de son découvreur.
Avant de ressortir du bâtiment, une maquette très intéressante, est exposée pour expliquer le mode de construction de Brouage.
L'église
L'église Saint-Pierre, restaurée grâce aux dons de la ville de Québec, s'élève sur la rue du Québec traversant le village. Elle n'a pas beaucoup changé depuis sa construction. Sa façade d'inspiration Renaissance est percée d'une porte à fronton grec et de fenêtres ogivales à manteau.
A l'intérieur, la charpente visible sur les bas-cotés est en forme de vaisseau renversé. A l'époque de son édification, il n'y avait que des charpentiers de navires ce qui explique cette structure, similaire à d'autres églises de bord de mer. Le sol est couvert de pierres tombales, sépultures de riches négociants en sel du 17° siècle ainsi que des militaires, d'anciens gouverneurs et des prêtres.
Les vitraux sont modernes, tous rappellent la vocation maritime de Brouage et les liens très forts qui unissent le village à Québec.
La forge royale.
Voisine de la Forge prison au destin tourmenté, la Forge royale est ouverte aux expositions temporaires d'artisanat. Indispensable à la production de fer de fonte, elle fut construite en 1629. Devenant Corps de garde au 18°s et dépôt d'essence en 1936, sa restauration débutée en 1966 lui a redonné son aspect originel. Vraisemblablement, elle produisait des petites pièces métalliques pour l'artillerie et les fers à chevaux, la production de canons étant laissé à la forge de l'arsenal aujourd'hui disparu.
Sa belle cheminée centrale est toujours visible.
L'escalier Mancini.
Jouxtant la Forge royale, un grand escalier de pierre s'élève jusqu'aux remparts. Il doit son nom à Marie Mancini, nièce du Cardinal Mazarin. Son aventure amoureuse avec le jeune roi Louis XIV n'ayant pu se concrétiser par un mariage pour raison d'état, Marie est exilée à Brouage par son oncle. Loin de toutes distractions elle essaie de noyer son chagrin. C'est la version romantique adoptée par le village, signifiée par une plaque au bas de l'escalier.
Marie Mancini écrivit plus tard, en repensant à sa déception amoureuse:
" La solitude étant la seule chose que je recherchais alors, la plus propre à entretenir mes tristes pensées, je choisis le Château de Brouage où mes soeurs s'ennuyaient fort, m'imaginant que tout le monde devait prendre part à ma douleur et que le plaisir des autres aurait été un crime pour moi."
Du haut de l'escalier et le long du rempart, les marchands pouvaient surveiller les va-et-vient sur l'océan, le déchargement ou l'embarquement des cargaisons, le travail dans les marais salants tout en discutant de leurs affaires.
La porte royale.
Achevée en 1631, cette porte possédait trois portails dont les extrémités étaient clôturées par des herses. Elle permettait un premier contrôle minutieux des visiteurs qui accédaient à une autre enceinte, flanquée d'un corps de garde habilité à actionner le pont-levis, dernier obstacle avant de parvenir au port. Depuis 1866, une brèche pratiquée dans les remparts permet d'accéder au village.
Cette porte est surtout remarquable par le nombre de graffitis qu'elle contient. Pour la plupart, ce sont des témoignages de soldats montant la garde aux différentes époques de l'Histoire. Présents un peu partout dans la citadelle, ils le sont particulièrement ici ainsi qu'à la porte de Hiers.
On distingue pèle-mêle des patronymes, des dates, des croquis, des blasons...etc, tout ce que voulaient graver dans la pierre les artistes occasionnels en mal d'action.
Ainsi s'achève, sous un ciel d'azur inondé de soleil, la visite de cet ancien bastion militaire qui fût un haut lieu stratégique politique du 17°siècle. Parcourir les bastions et les courtines permet, sans mal, de remonter le temps par ces témoignages de pierres, rescapés d'une destruction certaine grâce à l'opiniâtreté de ses défenseurs et conservateurs.
Rendez-vous pour une prochaine destination....