"De bonnes raisons de mourir" de Morgan Audic

 Éditions Le livre de Poche - 2020

 593 pages

 Édition française originale: Albin Michel - 2019

 L'auteur:

Morgan Audic est né à St Malo en 1980. Après une enfance à Cancale, il vit à Rennes où il enseigne l'Histoire et la Géographie dans un lycée de Rennes.

"De bonnes raisons de mourir" est son deuxième livre et polar après "Trop de morts au pays des merveilles" paru en 2016. Il a été récompensé par le Prix Découverte Polars Pourpres en 2019 et le Prix des Lecteurs Le livre de Poche en 2020.

 4° de couverture:

 À Pripiat, ancienne ville soviétique confinée dans la zone d'exclusion de Tchernobyl, un cadavre atrocement mutilé est retrouvé suspendu à la façade d'un bâtiment. Deux hommes aux motivations divergentes - Joseph Melnyk, policier ukrainien animé par le sens de la justice et du devoir, et Alexandre Rybalko, flic russe recruté par le père de la victime - mènent chacun leur enquête. Alors que tout relie le crime à un double homicide perpétré en 1986, la nuit où la centrale a explosé, ils doivent affronter un tueur fou qui signe ses meurtres d'une hirondelle empaillée. 

 Morgan Audic livre un thriller époustouflant dans une Ukraine disloquée où se mêlent conflits armés, effondrement économique et revendications écologiques.

 Mon avis:

Une amie connaissant l'intérêt que je porte à la littérature noire et à l'Histoire m'a prêté ce livre pensant qu'il me plairait. Elle ne s'est pas trompée car celui-ci est, sans hésiter, dans mon top 3. En effet j'aime les polars/thrillers mais pas tous. L'hémoglobine ensanglantant des dizaines de lignes sans justification, l'horreur dans le seul but d'hérisser le poil en n'apportant aucun élément probant à l'enquête ne m'intéressent pas. Un thriller sans violence n'atteint pas son but mais patauger dans le sang avec pour seul désir de faire frémir dans les chaumières et de noircir des pages, ce n'est pas pour moi.

"De bonnes raisons pour mourir" est violent, sanglant mais par delà les circonstances des meurtres successifs et de la double enquête qui rebondit sur un cold case, ce récit est bien plus que çà. Il replonge le lecteur dans la réalité glaçante de la catastrophe de Tchernobyl.

Les personnages principaux sont quelque peu stéréotypés. Un vieux flic ukrainien intègre, une tâche blanche dans un pays rongé par la corruption, agissant dans un cadre officiel et un jeune policier russe, ancien de la guerre en Tchétchénie, qui n'a plus rien à perdre à se lancer dans une enquête officieuse commanditée par un compatriote oligarque véreux. Une combinaison déjà conjuguée moutles fois, le policier et le détective, oui mais on ne peut que s'attacher à leurs faiblesses et à leurs combats désespérés dans un pays dévasté par la guerre et surtout aux raisons qui les poussent à agir comme ils le font. 

L'intrigue est très intéressante à plus d'un titre. D'abord sa construction basée sur la progression simultanée mais jamais conjointe des deux enquêtes, dévoilant des indices complémentaires que seul le lecteur peut associer. Ensuite la référence au cold case de 1986, jour de l'explosion du réacteur 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl mettant en scène des personnages assassinés dont on découvre peu à peu la relation avec la succession de meurtres de psychopathe du moment. Mais surtout, la force de ce thriller vient du lieu où il se passe, la zone sinistrée et irradiée d'il y a trente ans car si la trame du polar est relativement classique, l'environnement ravagé par la radioactivité, la menace invisible permanente mais responsable de la multiplication de cancers et de malformations lui confère une dimension particulière à la limite du documentaire.

Il est hallucinant d'apprendre la vie aux abords de Tchernobyl, le "No man's land" objet de toutes les convoitises illicites, de tous les trafics frauduleux de matériaux irradiés chapardés sur la Zone pour les recycler en objets usuels, mettant en danger n'importe quel individu sur la planète. Que dire des agences de voyages permettant la visite du site de la catastrophe nucléaire et de la ville fantôme de Prypiat, lieu où se déroule l'intrigue? Après vérification, près de 30.000 touristes de l'extrême, téméraires, voyeurs, morbides ou tout à la fois, se lancent dans l'excursion chaque année avec force de consignes pour limiter la contamination radioactive (!?) pour 75€!

Avant d'écrire une chronique littéraire, je m'intéresse toujours à l'auteur en recherchant des biographies et des interviews. Pourquoi n'ai-je pas été surprise d'apprendre que Morgan Audic est professeur d'Histoire et de Géographie? À coté de l'intrigue purement fictive, il propose une analyse objective des relations orageuses entre la Russie et l'Ukraine en évoquant la guerre du Donbass débutée en 2014 et dont on ne parle quasiment jamais. Une raison supplémentaire d'enrichir ses connaissances. Il nous embarque dans un voyage en enfer, au pays de la damnation qui n'est pas une invention littéraire mais qui existe bel et bien aujourd'hui, pas si loin de chez nous. Les plus anciens d'entre nous se souviennent encore du "nuage radioatif arrêté à la frontière", craignant certainement un contrôle douanier!

Ce thriller, que son auteur qualifie lui-même d'ethno-polar, fait partie de ceux qui laissent des traces après la dernière page tournée. Une intrigue à tiroirs qui se savoure grâce à un rythme effréné sans temps mort et un style d'une précision chirurgicale. Il nous rappelle la dangerosité de la prétention humaine à vouloir tout dominer et le prix à payer quand "la machine" s'emballe, lui explosant en pleine face. Il rend hommage aussi tous les hommes de l'ombre, morts dans la plus totale indifférence en essayant de limiter le désastre. 

Ce deuxième livre laisse présager d'une carrière flamboyante de Morgan Audic, s'il continue sur cette trajectoire. À suivre sans hésitation!

Comments

[annette76710]

encore une analyse de livre qui aiguise ma curiosité.

merci pour ce retour.