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Avec Plume, les mailles s’amusent……et d’autres fils s’en mêlent.
29 janvier 2022

"S'adapter" de Clara Dupondt-Monod

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 Éditions Stock - 2021

 171 pages

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 L'auteur :

Clara Dupont-Monod

Femme de lettres, journaliste et écrivaine française née en 1973, Clara Dupont-Monod est issue d'une famille cévenole protestante.

Sa carrière journalistique débute à 24 ans dans la presse papier puis elle la poursuit sur différents médias télévisuels et radiophoniques en parallèle avec sa passion pour l'écriture qu'elle assouvit en publiant de nombreux romans historiques.

Elle gravite également dans le domaine de l'édition : Denoël, Jean Claude Lattès.

 

 4° de couverture :

C'est l'histoire d'un enfant différent, toujours allongé, aux yeux noirs qui flottent, un enfant inadapté qui trace une frontière invisible entre sa famille et les autres. C'est l'histoire de sa place dans la maison cévenole où il naît, au milieu de la nature puissante ; de sa place dans la fratrie et dans les enfances bouleversées. Celle de l'aîné, qui, dans sa relation fusionnelle avec l'enfant, s'abandonne et se perd. Celle de la cadette, dans la colère et le dégoût de celui qui a détruit l'équilibre. Celle du petit denier qui a la charge de réparer, tout en vivant escorté d'un frère fantôme.

Comme dans un conte, les pierres de la cour témoignent. Comme dans les contes, la force vient des enfants, de l'aîné qui aime follement, de la cadette révoltée. Du dernier qui saura réconcilier les histoires.

La naissance d'un enfant handicapé racontée par sa fratrie. Magnifique et lumineux.

 

 Mon avis :

Les prix littéraires ne guident que très rarement mes choix. Cependant, je reconnais être très attentive aux prix décernés par les lycéens, à mon avis, bien plus attachés à la littérature pure et aux émotions qu'elle leur apporte que leurs aînés. C'est ainsi que ce livre a, naturellement, trouvé sa place dans mes projets de lecture.

Dès la première page, un sentiment étrange m'a enveloppée. Un mélange de gêne, de compassion et de tristesse. Si le bonheur d'une famille à l'arrivée d'un magnifique bébé, troisième membre d'une fratrie soudée et aimante, est on ne peut plus naturel, l'apparition des troubles manifestes chez l'enfant m'a donné le sentiment d'assister, impuissante et voyeuse, au naufrage de cette allégresse. La félicité se transforme en cauchemar avec la succession des visites chez les spécialistes. Cet enfant coupé du monde et de son entourage par ses multiples incapacités, demande une prise en charge de plus en plus lourde. 

À commencer ainsi le récit, on pourrait s'attendre à un pathos débordant, une colère stérile mais compréhensible contre le destin, les démarches administratives incessantes et improductives, les institutions bien trop rares ou trop mal équipées pour aider les familles, le personnel spécialisé souvent débordé, entraînant inexorablement les proches à se déchirer en se rejetant la "faute". Il n'en est rien. Contre vents et marées, ils restent soudés et affrontent la situation chacun à leur façon bien que rien ne soit facile. C'est toute l'élégance du propos et la sagesse de l'autrice qui se livre délicatement et pudiquement, ayant vécu un contexte similaire.

Les choix de Clara Dupont-Monod pour ouvrir l'intimité de cette maisonnée dans ce qu'elle a plus tragique et de plus magnifique aux yeux et au cœur du lecteur sont surprenants cependant, ils sont très astucieux. 

Habituellement, les personnages d'une histoire sont nommés pour que le lecteur puisse les identifier facilement et suivre leurs pérégrinations. Ici, aucun membre de la famille n'a de prénom. Ils sont désignés par leur "rang" : l'aîné, la cadette, le dernier, le père, la mère, la grand-mère et enfin l'enfant, celui dont l'existence va bouleverser leur vie. Si cette distance peut gêner, pour moi, au contraire, elle m'a permis de me concentrer sur le plus important, la construction affective de chacun vis-à-vis de la différence.

Ensuite, donner la parole aux pierres de la cour et des murets alentours, témoins immobiles et incontournables de cette famille épuisée par la fatalité sans pour autant baisser les bras est un choix singulier, mais un symbole fort. Tout le monde connaît les murs de pierres sèches comme ils en existent encore dans nos campagnes. Une construction ancestrale sans aucun liant d'aucune sorte, ni ciment ni mortier, pourtant d'une solidité à toute épreuve par le simple soutien indéfectible de chacune des pierres à l'image de cette fratrie.

Enfin, en général, les récits concernant les familles sont souvent axés sur la parentalité. Or ici, les parents sont présents en figurants secondaires, le sujet est centré sur les enfants et leur façon d'appréhender la présence ou l'absence de ce petit frère pas comme les autres. Il les bouleverse et leur apprend à vivre avec son handicap et non contre son invalidité. D'ailleurs, ce mot n'est jamais prononcé. Il laisse la place à "adaptation" plus ouvert. En effet, le handicap évoque un manque pour se couler dans une norme alors que l'adaptation est la capacité de répondre à des besoins différents. Situer l'action dans les montagnes cévenoles n'est pas seulement dû au fait que l'écrivaine connaît bien cette région pour la décrire si joliment. Pour vivre sereinement dans cet environnement, il faut savoir s'y acclimater, autrement dit s'y adapter, car ce n'est pas la nature aride qui se plie aux aspirations de l'homme, mais bien l'inverse.

Le livre est un roman choral de trois chapitres, chacun étant consacré à l'observation d'un des enfants. Sonnés par la fatalité qui s'est abattue sur leur cocon protecteur. Ils gèrent comme ils le peuvent leur angoisse d'avoir un petit frère avec lequel ils ne pourront jamais discuter, jouer, rire, se chamailler, pleurer. 

L'aîné, se consacre entièrement ce petit être dont seule l'ouïe et le toucher le relie au monde extérieur. Il lui chuchote des histoires, lui fredonne des comptines, lui pose diverses matières sur la peau. Il développe un amour fusionnel intense par son hyper présence au détriment de sa vie personnelle.

La cadette révoltée exprime sa colère et sa douleur sans ménagement contre l'injustice d'avoir un frère différent qui lui vole l'amour de son aîné, mais aussi contre elle-même, dans son incapacité d'éprouver de l'empathie. Elle arrive à trouver du réconfort dans les mots empreints de sagesse de sa grand-mère.

Le dernier se sent contraint de vivre dans l'ombre d'un fantôme très lourde à porter. D'une sensibilité extrême, il envie ceux qui ont connu l'enfant en éprouvant une immense culpabilité. N'est-il pas un imposteur d'avoir remplacé ce frère qu'il n'a jamais connu ? Serait-il né si l'enfant avait été différent ?

De son écriture sobre et pleine de délicatesse, Clara Dupont-Monod livre un roman lumineux où la tendresse et l'amour sont omniprésents. La loterie malencontreuse de la Vie a tenté de briser une famille unie et heureuse par l'arrivée d'un être fragile, mais si précieux. Chaque membre de la fratrie, se débat avec cette blessure qui ne guérira jamais en réagissant selon son caractère, ses envies et ses frustrations, ce qui constitue l'Être profond. À chacun son chemin, plus ou moins douloureux, pour franchir la frontière invisible qui les a séparés des Autres. Cet enfant "inadapté" leur a appris l'endurance, la tolérance, l'acceptation de la différence, autant de forces pour affronter leur avenir et construire leur vie.

 

 Quelques extraits et citations :

"Avoir vécu le pire éloigne la peur. On l'a traversé, donc on le connaît. On a les réflexes et le mode d'emploi. La peur vient de l'inconnu."

"Dans la pénombre nimbée de reflets mouvants et colorés, elle comprit soudain que son frère aîné ne guérirait pas de l'enfant. Guérir, cela signifiait renoncer à sa peine, or la peine, c'était ce que l'enfant avait planté en lui. C'était sa trace. Guérir, cela voulait dire perdre la trace, perdre l'enfant à tout jamais. Elle savait désormais que le lien peut avoir différentes formes. La guerre est un lien. Le chagrin aussi."

"Si un enfant va mal, il faut toujours avoir un œil sur les autres. [...] Car les bien-portants ne font pas de bruit, s'adaptent aux contours cisaillants de la vie qui s'offre, épousent la forme des peines sans rien réclamer. Ils seront les gardiens du phare détestant les vagues mais tant pis, refuser serait déplacé. Un sentiment de devoir les guide. Ils se tiendront là, vigies dans la nuit noire, se débrouilleront pour n'avoir ni froid ni peur. Or, n'avoir ni froid ni peur n'est pas normal."

"La fragilité engendre la brutalité, comme si le vivant souhaitait punir ce qui ne l'est pas assez."

"Il n'avançait pas plus loin. Il écoutait l'enfant respirer. Il ne fallait surtout pas s'approcher. Il ne s'en remettrait pas. Il restait derrière la porte, tremblant, déchiré. C'était absurde. C'était ainsi. Face à l'épreuve, il s'adaptait."

"L'insouciance, perverse notion, ne se savoure qu'une fois éteinte, lorsqu'elle devenue un souvenir."

"Depuis, l'aîné a grandi sans se lier. Se lier, c'est trop dangereux, pense-t-il. Les gens qu'on aime peuvent disparaître si facilement. C'est un adulte qui a associé la possibilité du bonheur à celle de la perte."

 

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