"Grâce et dénuement" d'Alice Ferney
Édition J'ai Lu - 2002 - 188 pages
Édition originale : Actes Sud - 1997
ISBN : 9782290302750
L'auteur :
Après des études de Commerce à l'ESSEC et l'obtention d'un doctorat en Sciences Économiques, Cécile Brossollet, née en 1961, enseigne à l'université d'Orléans. Adepte du roman classique, elle commence à écrire en 1987 sous le nom d'Alice Ferney. Ses thèmes de prédilection se positionnent sur deux axes ; d'un côté la féminité, la différence des sexes, le sentiment amoureux, les relations homme-femme et la maternité, et de l'autre, l'engagement, l'Histoire et la guerre.
Actuellement, elle est l'autrice de 17 livres dont certains ont été primés et d'autres portés à l'écran.
4e de couverture :
"Non, se disaient maintenant les frères gitans, leurs vies n'étaient pas misérables. Ils n'étaient pas les plus pauvres. Ils n'étaient pas rampants sans feu ni lieu, puisqu'ils avaient des camions, des caravanes, et de belles femmes qui portaient de jeunes enfants. Que pouvait-on demander de plus à la vie ?"
Sur un terrain vague subsiste un clan de gitans indifférents à la société, à ses règles et à son confort. Un jour, une bibliothécaire déterminée se met en tête de faire découvrir la magie de la lecture aux enfants. Se nouent alors des relations intenses. Car ce que découvre cette étrangère, par-delà la misère, c'est une chaleur particulière, la tendresse, et cette beauté des femmes dans le dévouement. Quelque chose d'impalpable qu'on nomme l'humanité.
Mon avis :
L'écriture fine et soignée permet au lecteur de soulever un coin de voile, masquant les secrets, jalousement gardés par le clan. Cette fiction a le mérite d'exposer la situation des gens du voyage, sans racine, souvent faite de pauvreté, sans occulter les méfaits auxquels se livrent leurs membres. Alice Ferney aborde le cercle vicieux dans lequel ces personnes se trouvent enfermées. Ne voulant se soumettre à aucune loi sinon la leur, ils sont aussi craints que méprisés. Si, d'aventure, certains intègrent une vie sédentaire, ils portent le fardeau de leur réputation, ce qui exclut toute possibilité de créer des relations facilement. Rien n'est plus difficile que d'émulsionner deux cultures restant dans la défiance l'une de l'autre.
Cependant, le sujet est ailleurs, il est dans les relations familiales, qu'elles soient bâties sur l'amour ou dans la violence, ainsi que le respect et l'affection que toute la communauté porte à Angeline, la matriarche, à la philosophie pleine de sagesse, endurcie par la vie. À mon avis, il aurait été intéressant de creuser la personnalité de cette femme. Elle est le phare de ce récit comme de cette famille. En effet, malgré les bonnes intentions d'Esther et l'attachement qui la lie visiblement aux enfants qu'elle côtoie, j'ai eu la désagréable sensation d'un rendez-vous raté en refermant le livre.
La littérature me donne souvent l'opportunité de découvrir des atmosphères et des environnements qui me sont étrangers, d'éprouver de l'empathie pour des modes de vie dont les codes me sont inconnus. L'enrichissement des connaissances est toujours un atout, même au travers de fictions réalistes. J'ai essayé de trouver les raisons de cet étrange sentiment de loupé. En général, je suis sensible aux relations humaines, surtout quand elles sont servies par une écriture si agréable et si sensible. Alors pourquoi la "magie" n'a pas fonctionné ici ?
Après réflexion, je pense que le comportement d'Esther m'a beaucoup dérangée. Évidemment, elle est poussée par la compassion et le besoin de transmettre, allant jusqu'à donner l'opportunité d'une ouverture vers une société qui est la sienne. Cependant, est-ce vraiment ce vers quoi aspirent ces petits gitans ? Leur donner envie de s'évader par les livres en leur apprenant à lire est une bonne chose, mais pourquoi vouloir les éloigner de leurs racines, aussi mal vues soient-elles dans le regard des autres ? À aucun moment, je n'ai ressenti l'envie d'Esther à se rapprocher de ce peuple, à connaître leur culture, leurs croyances. Elle arrive armée de son savoir à elle. Elle refuse de parler de sa famille, comme si elle voulait les préserver de ce monde inconnu. Serait-il trop malsain pour les siens ? Enfin, l'attitude qu'elle adopte en refusant de porter le cadeau d'Angeline, même lors de ses visites au camp, m'a révulsée. Je l'ai ressenti comme un affront absurde et regrettable vis-à-vis de cette famille qui l'avait acceptée malgré sa différence.
Tous les ingrédients d'une belle histoire étaient réunis, les conditions de vie difficiles, les caractères bien croqués avec des fils et des belles-filles très différents, les enfants attachants de spontanéité, la matriarche impressionnante avec son regard perçant auquel rien n'échappe. Malgré toute la patience et l'opiniâtreté déployées pour faire accepter sa présence dans le camp, Esther n'a pas saisi sa chance de rencontrer cette communauté, riche de traditions, sauvage, indomptée et d'aller au-delà des apparences. Dommage, je suis restée sur ma faim avec une pointe de déception.
Extraits et citations :
* "[...] la vieillesse peut servir à cela, donner sa bienveillance, parce qu'on a le temps qu'il faut, parce qu'on attend plus avec impatience et colère des choses qui, ne venant pas, nous rendent hargneux envers ceux qui les ont."
* "Le bonheur nous rend la beauté et notre âme éclaire notre corps."