" De soleil et de sang " de Jérôme Loubry

 Éditions Calmann-Lévy - 2020 - 397 pages

 ISBN 9782702166857

 L'auteur :

Né en 1976, Jérôme Loubry est un écrivain français reconnu pour ses thrillers. Son premier roman "Les chiens de détroit", paru en 2017, a été récompensé par le Prix Plume Libre d'Argent en 2018. Ses livres sont toujours accueillis avec succès. "Les refuges", son troisième roman, a obtenu le Prix Cognac du meilleur livre francophone en 2019 et le Grand Prix de l'Iris Noir Bruxelles 2019. "De soleil et de sang" promet un dépaysement total à Haïti, baie ouverte sur le soleil, le sable, les eaux turquoise et les bidonvilles, la misère et, surtout, le vaudou !

 4e de couverture :

Dans ce quartier chic de Port-au-Prince s’élèvent de belles demeures de pierre entourées de palmiers, de flamboyants et d’arbres orchidées. C’est là que, pour la deuxième fois en une semaine, un couple est retrouvé assassiné dans sa chambre. Deux corps mutilés gisant au pied du lit conjugal. La presse titre déjà sur une série de " crimes vaudous ".
Pourtant l’inspecteur Simon Bélage refuse de tomber dans la superstition. Sur cette île, la corruption et le trafic d’enfants font plus de ravages que le terrible Baron Samedi, le dieu des morts. Simon sait avec certitude que ces crimes sont l’œuvre d’un être de chair et de sang. Et tous les indices convergent vers un orphelinat fermé depuis près de vingt ans, surnommé la " Tombe joyeuse ".
Mais Simon devrait prendre garde. En Haïti, ignorer les avertissements des esprits, qu’ils soient vrais ou faux, peut se révéler dangereux…

 Mon avis :

 Pour la première fois, avec Jérôme Loubry, j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'atmosphère de l'histoire, les va-et-vient dans le temps, les personnages foisonnants, les liens nébuleux entre les divers acteurs... Mais, quand le fil rouge s'est révélé, le roman est resté accroché à mes mains, comme si un électrochoc m'avait réveillée d'une torpeur toute caribéenne. J'ai échappé à l'emprise du vaudou pour me plonger dans le drame des Six. Le talent de conteur de l'auteur, que j'apprécie depuis son premier roman, a fonctionné à nouveau, en m'offrant un dépaysement total en Haïti avec sa misère, sa corruption et ses gangs. 

 Jérôme Loubry soigne, non seulement son intrigue, mais aussi son contexte pour évoquer, dénoncer ou attirer le regard sur un phénomène particulier. Dans " De soleil et de sang ", le curseur est placé sur le drame des enfants haïtiens, souvent vendus, pour quelques pièces, par leur famille aux mafieux locaux, ou simplement enlevés dans les rues où ils traînent en quête de subsistance. Ce polar est directement ancré dans la réalité de la dictature Duvalier, de père en fils, famille vivant dans le faste et le luxe alors que le pays est l'un des plus pauvres des Antilles. Leur fortune provenait de divers trafics baignant dans une corruption éhontée avec la drogue et le crime organisé, dont le trafic d'organes humains.

 Habilement, la construction de ce polar opère une bascule entre les années 80 avec six enfants " dévalorisés ", au temps de Baby Doc et de ses sbires, et le présent situé autour du terrible tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui entraîna la mort de milliers d'Haïtiens. Pendant cette période, une série de crimes odieux attribués au Vaudou, magie et pratiques occultes fortement ancrées dans les croyances populaires, inquiète. Simon Bélage, chargé de l'enquête, croit surtout à la malfaisance des hommes et peu à l'influence des esprits. Petit à petit, il va dérouler le fil d'une pelote imprégnée de sang, de perversité et de vengeance.

 Si ce roman noir n'est pas une révolution du genre, il maintient un suspense, presque jusqu'au bout ; hé oui, si j'ai été surprise plus d'une fois au cours de l'histoire malgré tout, j'ai vu venir la chute d'assez loin. Le style est agréable à lire, malgré les horreurs institutionnalisées du saccage de l'enfance, évitant l'écueil de se vautrer dans des descriptions morbides et malsaines, un autre bon point pour l'auteur. Le contexte politique, économique et social, bien que succinctement évoqué, est une fabuleuse toile de fond à cette histoire sordide en rappelant la réalité atroce et misérable de la vie en Haïti. Ce récit m'a donné envie de découvrir, plus sérieusement, l'Histoire de cette terre située sur une faille sismique, violentée plus d'une fois par ses dirigeants successifs.

 Lecteur amateur de thriller, ne t'y trompe pas, tu n'es pas au Club Indigo de Montrouis au fastueux confort offrant à ton oisiveté l'océan turquoise bordé de sable blanc, à l'ombre des cocotiers. Avec " De soleil et de sang ", tu entres sur la terre des esclaves de Saint-Domingue, dans l'antichambre de la Cour des Miracles de l'Enfer !

 Extraits et citations :

* " Mais la folie des hommes est tenace. Aussi lourde et lestée de mauvaises intentions que ces nuages immobiles dans un ciel noir d'orage. "

* " [...] nul n'est responsable de notre passé sinon nous-mêmes... "

* " Les enfants sont la richesse des pauvres. "

* " Ce pays ne peut pas survivre au travers des croyances, pensa-t-il. Si les motivations des hommes ne sont guidées que par les paroles des morts, c'est que cette île n'appartient déjà plus aux vivants... "

* " La famille représente le seul lien avec l'enfance. Une fois les spectres de cette vie passée évanouis, il ne reste que les souvenirs, à condition bien entendu que l'on souhaite les garder au fond de nous. "

* " Et qu’est-ce qu’un mensonge si ce n’est une petite boite dans laquelle on glisse une vérité que l’on ne souhaite pas affronter ? "

* " À Haïti, le savoir n’est pas une bénédiction. L’ignorance protège bien plus. "

* " [...] le vaudou ne connaît qu'un maître, c'est la folie des hommes. "

* " Haïti est la mère nourricière de sa propre honte. C'est une putain qui engendre, délaisse puis revend son propre futur. "

* " Savez-vous ce que sont les enfers ici, à Haïti ? [...] Ils se situent à la frontière de l'acceptable et de l'impossible. Sur cette île, les hommes vacillent constamment entre ces deux notions. Pour certains, le vaudou explique l'impossible et le rend acceptable. Les autres, ceux qui ne sont pas croyants, se perdent dans les limbes... "