"De sang-froid" de Truman Capote

 Éditions Folio - 2015 - 506 pages

 Édition originale : Gallimard - 1965

 Titre original :  In  Cold Blood

 Traducteur : Raymond Girard - Anglais (USA)

 ISBN 9782070360598

 L'auteur :

De son vrai nom Truman Streckfus Persons, Truman Garcia Capote naît en 1924 à la Nouvelle Orléans dans une famille dysfonctionnelle. À cinq ans, il est confié à des cousins qui se chargent de son éducation. Précoce, il écrit dès l'âge de 10 ans et publie sa première nouvelle à 20 ans. Son premier roman "Les domaines hantés" connaît un vif succès en 1948, mais c'est 10 ans plus tard, en 1958, que les milieux artistiques commencent à parler du style Capote avec la parution de "Petit déjeuner chez Tiffany".

Dans le New-York Times du 16 novembre 1959, il découvre un fait divers sanglant qui le stupéfie par sa violence gratuite. Galvanisé, il décide d'écrire un roman de non-fiction en étudiant tous les rapports d'enquête. Il va jusqu'à interviewer les policiers chargés de l'investigation et les assassins en prison, avec l'aide de son amie Harper Lee. Il consacre six ans à écrire le résultat de ses recherches, parus dans un premier temps sous forme de feuilleton judiciaire dans les colonnes du quotidien New-Yorker. "De sang-froid" paraît en 1965.

Excentrique, homosexuel, mondain, cocaïnomane, il meurt en 1984 à Los Angeles de ses excès en laissant une œuvre résolument moderne, témoin de son époque grâce à son regard acéré et sa plume aiguisée sur la société américaine contemporaine.

 4e de couverture :

Il était midi au cœur du désert de Mojave. Assis sur une valise de paille, Perry jouait de l'harmonica. Dick était debout au bord d'une grande route noire, la Route 66, les yeux fixés sur le vide immaculé comme si l'intensité de son regard pouvait forcer des automobilistes à se montrer. Il en passait très peu, et nul d'entre eux ne s'arrêtait pour les auto-stoppeurs...
Ils attendaient un voyageur solitaire dans une voiture convenable et avec de l'argent dans son porte-billets : un étranger à voler, étrangler et abandonner dans le désert.
Le roman culte inspiré à Truman Capote par un terrible fait divers.

 Mon avis :

 Après avoir lu les deux romans de Harper Lee, "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" et "Va et poste une sentinelle", la curiosité m'a poussée à me plonger dans le grand classique de son ami, Truman Capote auquel elle a beaucoup collaboré, en récoltant des témoignages et en allant dans le couloir de la mort, rencontrer les protagonistes de la sordide affaire qui est à l'origine de son roman phare "De sang-froid".

 Ce livre, conçu sur le mode journalistique, plonge au cœur des années 60. Aucun détail n'est laissé au hasard. Tous les membres de la famille Clutter, les victimes, sont explorés avec soin ; leur personnalité, leur mode de vie, leurs qualités et leurs défauts, leurs amis et les sentiments qu'ils provoquent, enfin l'empreinte qu'ils laissent à leur communauté. En vis-à-vis, les portraits de Perry et Dick, les auteurs du drame, sont étudiés avec le même souci du détail ; leur milieu familial, leurs frustrations, leurs blessures, leur sentiment d'abandon et puis de liberté, celle de se sentir hors du système et celle d'être au-dessus des lois.

 Après une période nécessaire d'adaptation envers le ton et le rythme de la narration, j'ai parfois trouvé quelques longueurs provoquées par le foisonnement de détails concernant des personnages très secondaires, ou n'apportant pas grand-chose à l'enchaînement des événements. Malgré tout, ils permettent la structuration de l'ambiance de l'époque, même si certaines coupures auraient pu épurer le texte, notamment le décompte macabre des condamnés à mort.

 La structuration du livre offre, au lecteur, la possibilité troublante d'entrer dans la tête des meurtriers de façon efficace. Des individus à la dérive, qui ne cessent de naviguer encore plus loin dans les zones de non-droits, jusqu'au terme inéluctable de leur destinée. Je ne peux pas dire, qu'ils m'aient été très sympathiques. Pourtant, j'ai senti l'éternelle connexion du dominant avec le dominé et la fragilité de l'un par rapport à l'autre. Les témoignages de l'entourage sont explicites. Cependant, leur prise de conscience reste bien furtive face à la froideur et à l'insensibilité exprimées devant l'énormité de leurs actes.

 Ce roman est une sorte de docu-fiction dont j'ai aimé parcourir les méandres, parfois avec douleur et affliction, parfois avec horreur et consternation, mais toujours avec intérêt. Au-delà des faits tragiques, plusieurs pistes de réflexion sont proposées au cours du récit. L'importance de sa naissance et des conditions de vie entourant l'enfant, le milieu social reste secondaire par rapport à l'amour qu'il reçoit de son entourage. Les mauvaises rencontres peuvent, également, déterminer l'avenir d'un jeune fragile, facilement influençable.

 La peine de mort reste la question phare. Bien que notre pays l'ait abolie depuis plus de 40 ans, il n'est pas toujours facile d'émettre une opinion sur le sujet aujourd'hui. Chacun garde ses convictions et la rhétorique refait surface régulièrement, surtout face à des atrocités difficilement supportables. En décortiquant par le menu, une affaire ayant réellement eu lieu, ainsi que son jugement, Truman Capote donne tous les éléments au lecteur pour l'inciter à réfléchir, en parallèle à la justice qui suit son cours et ainsi, constitue la colonne vertébrale qui fait la force de son roman.

 Un excellent classique, relatant une enquête criminelle à lire ou à relire avec le décalage du temps si l'on n'est pas rebuté par le style journalistique qui, immanquablement, instaure une distance par rapport aux protagonistes, ce qui atténue l'émotion ressentie.

 Pour clore ma découverte de l'auteur, je vais voir le film de Richard Brooks "De sang froid", sorti en 1968, inspiré du livre dont Truman Capote enregistre la voix off de la version originale.

 Extraits et citations :

* « Rien de plus habituel que de sentir que les autres ont une part de responsabilité dans nos échecs., tout comme c'est une réaction ordinaire d'oublier ceux qui ont pris part à nos réussites. »

* « Il est facile de faire comme si la pluie n'existe pas quand on porte un imperméable. »

* « Les riches ne sont jamais pendus. Seulement ceux qui sont pauvres et sans amis le sont. »

* « L'homme n'est rien, une buée, une ombre absorbée par les ombres. »

* « L'imagination bien sûr, peut ouvrir n'importe quelle porte, tourner la clé et laisser entrer la terreur. »