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Avec Plume, les mailles s’amusent……et d’autres fils s’en mêlent.
7 mars 2023

"Ceci n'est pas un fait divers" de Philippe Besson

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 Éditions Julliard - 2023 - 204 pages

 ISBN 9782260055372

 

 

 

 

 

 L'auteur :

Ph Besson

On peut dire que Philippe Besson est un homme-orchestre. Né en Charente en 1967, après avoir été diplômé d'une école supérieure de commerce à Rouen et titulaire d'un DESS de Droit, il enseigne le Droit Social à Paris et devient juriste. Il est surtout connu et reconnu pour son œuvre littéraire avec 36 livres à son actif dont certains ont été primés et d'autres adaptés sur grands et petits écrans. Il a multiplié ses collaborations avec le monde du cinéma en tant que scénariste avec des personnalités du monde du spectacle : Muriel Robin (Mourir d'aimer - 2009), Jeanne Moreau (La Mauvaise Rencontre - 2010), Gérard Depardieu et Fanny Ardant (Raspoutine - 2012), Fanny Ardant et Charles Berling (Nos Retrouvailles - 2012).

"Arrête avec tes mensonges" (2017), roman dans lequel il relate sa première histoire d'amour, est adapté au cinéma en 2023, réalisé par Olivier Peyon et interprété par Guillaume de Tonquédec et Victor Belmondo.

 

 4e de couverture :

Ils sont frère et sœur. Quand l'histoire commence, ils ont dix-neuf et treize ans.

Cette histoire tient en quelques mots, ceux que la cadette, témoin malgré elle, prononce en tremblant : « Papa vient de tuer maman. »

Passé la sidération, ces enfants brisés vont devoir se débrouiller avec le chagrin, la colère, la culpabilité. Et remonter le cours du temps pour tenter de comprendre la redoutable mécanique qui a conduit à cet acte.

Avec pudeur et sobriété, ce roman, inspiré de faits réels, raconte, au-delà d'un sujet de société, le long combat de deux victimes invisibles pour réapprendre à vivre.

 

 Mon avis :

 Difficile de dire ou d'écrire quoi que ce soit en refermant ce livre. Les mots coincés au fond de la gorge, les doigts tétanisés et le cœur broyé n'aident pas. Cinq petits mots, « Papa vient de tuer Maman. », prononcés, au téléphone dans un sanglot, par une fillette de 13 ans, témoin du drame, à son grand frère de 19 ans qui ne peut qu'imaginer ce qu'a vu sa petite sœur, sont une déflagration assourdissante dans une sidération inouïe. Un uppercut dans le plexus qui n'a plus rien de solaire. Des vies qui basculent pour toujours.

 Je dois avouer que ma "relation" à la plume de Philippe Besson est loin d'être linaire. Selon le sujet, soit je suis émue jusqu'au fond de mon âme, soit je reste de marbre, en simple observatrice peu concernée, devant une histoire déroulant son scénario. Pourtant, la plume alerte et incisive de l'auteur explore, à chaque fois, et avec soin, les relations humaines faîtes de fêlures et de blessures. Seulement voilà, je suis embarquée ou laissée sur le bas-côté sans très bien comprendre pourquoi.

 Dans ce roman, l'auteur aborde un sujet qui m'exaspère depuis longtemps ; les violences conjugales. Il est inconcevable et incroyable de voir l'enchaînement systématiquement identique des faits dans chaque cas. L'humiliation, les coups de plus en plus fréquents et extrêmes, le silence de l'entourage, les excuses de l'agresseur, les diversions de la victime pour cacher ou justifier ses marques, la honte, l'emprise, quelquefois les plaintes auprès des services de police plus ou moins bien formés selon leur lieu géographique et les moyens qui leur sont alloués. Le drame absolu et insupportable est que ce soit l'agressée terrorisée qui doit s'effacer en quittant tout ce qu'elle a construit ; sa maison, son travail, ses amis et souvent sa famille, pour essayer de se protéger, quand il lui en reste la force... ou la vie. Alors que le coupable, la plupart du temps inconscient de la gravité de ses actes, continue à jouir de sa position. J'exagère ? À peine !

 Une autre chose me révulse et me met les nerfs en pelote, l'appellation "fait divers". Plusieurs définitions la caractérisent. En général, il s'agit d'un événement inclassable, car il n'est ni politique, ni social, ni culturel, ni économique. Vulgairement, c'est la rubrique des "chiens écrasés" avec quelques lignes dans un coin de journal. Non ! Une femme massacrée n'est pas un fait inclassable ! Le féminicide est, comme le nomme justement Philippe Besson, un "crime de propriétaire". La femme est chosifiée dans l'esprit de l'homme, elle lui appartient puisqu'elle a accepté de partager son quotidien. Il se trouve donc légitime de lui donner des coups jusqu'à lui ôter la vie si elle a des velléités d'indépendance. Est-il utile de rappeler ce décompte glaçant : une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son compagnon ? À l'heure où j'écris ces lignes, elles sont 26 à avoir été éliminées depuis le 1er janvier 2023, parce qu'elles avaient succombé au charme de la mauvaise personne.

 "Ceci n'est pas un fait divers" ne pouvait qu'attirer mon regard et m'interpeller, bien avant que je sache le retentissement médiatique de ce livre dans les cercles littéraires. Philippe Besson frappe fort. Tout en pudeur, il pose les mots crus et justes pour explorer cette horreur du côté des victimes collatérales, les enfants. Ils sont les blessés invisibles de cette violence. Leur sentiment de culpabilité est immense. Comment, au-delà du crime, intégrer que son père, figure protectrice, a tué sa mère, image d'amour ? Ne pas avoir su détecter les signes avant-coureurs du drame, bien sûr faibles, mais néanmoins existants, l'impuissance de n'avoir pu apporter une protection écrase tout sur son passage. Le narrateur et Léa entrent dans une spirale infernale judiciaire et juridique dont personne ne peut sortir indemne, pas même le lecteur pourtant à distance. 

 Je n'irai pas plus loin, incapable d'analyser posément ce récit de nombreuses fois évoqué par des critiques professionnels et des lecteurs passionnés. Je pense que tout a été dit, sans que j'aie besoin de rajouter quoi que ce soit de plus pertinent. Cependant, je remercie Philippe Besson pour sa justesse de ton, son talent à susciter une émotion bouleversante par la sobriété de courtes phrases. Il déroule son histoire à la première personne, accompagnant ainsi le fils aîné, frère de Léa, sans aucune digression romanesque, ni remarques assassines moralisatrices, ni voyeurisme malsain, se maintenant au factuel, dans le sillon du chagrin, de l'incompréhension, de la colère et peut-être, enfin, de la reconstruction. 

 Bien que lu d'une traite, il a fallu que je stoppe ma lecture plus d'une fois, pour laisser ma douleur et ma tristesse se calmer. Avec cette autopsie d'un drame aussi odieux qu'imbécile, même si cela paraît anachronique, j'ose dire que "Ceci n'est pas un fait divers" est un immense coup de cœur, écrit avec sobriété et respect pour le fait réel dont il est inspiré. Les romanciers "romancent". Ils assument aussi une position de première ligne pour endosser le rôle de lanceur d'alerte. Ce livre mériterait d'être au programme de Littérature dans les lycées, à des fins pédagogiques auprès des jeunes gens, à la veille de leur entrée dans la vie adulte. 

  

 Extraits et citations :

* « Il faut croire que, même au cœur de l'effroyable, de l'impensable, quelques réflexes demeurent. »

* « Depuis, j'ai appris qu'il faut plonger dans les profondeurs pour comprendre ce qui se passe à la surface. J'ai compris aussi que l'invisible est plus parlant que le visible. »

* « Les monstres aussi ont le droit d'avoir un beau sourire. »

* « La brutalité n'a pas besoin de grands discours ou de grands gestes. »

* « En effet, est-ce qu'on ne voit rien ou est-ce qu'on ne veut rien voir ? Est-ce qu'on n'est pas conscients ou est-ce qu'on s'arrange avec sa conscience ? Et quand elle vient nous titiller, notre conscience, est-ce qu'on ne se trouve pas des excuses ? »

* « C'étaient des moments de rien du tout quand on y songe. Et je comprenais, trop tard, que c'étaient les moments les plus importants. »

* « [...] il avait l'impression que je refusais l'obstacle. Avec la mort, ça ne servait évidemment à rien. Elle lançait les dés et on était bien obligés de jouer. »

* « Comment pouvait-on imaginer qu'un mari violent doublé d'un meurtrier ne soit pas un père dangereux, ou au moins inapte ? Concevoir qu'un type qui allait passer des tas d'années derrière les barreaux puisse décider à distance du destin de sa progéniture comme une télécommande actionne, je ne sais pas moi, une porte de garage ? Comment la justice pouvait-elle tolérer, voire favoriser, ce genre d'anomalie, de monstruosité ? »

* « Le cri d'alarme de ma mère était donc une de ces choses à côté desquelles on passe. J'ai dit : "Une femme battue, c'est moins important qu'un chien perdu ou une voiture emboutie, c'est ça ?" »

* « Décidément, nous n'aurions aucun répit. Le temps nous manquait même pour pleurer notre mère, il fallait toujours franchir une nouvelle haie, coupante à nos mollets trop tendres. Ainsi, nous n'étions jamais dans la vacuité, la vacance. Jamais non plus dans l'intelligence d'ailleurs, incapables de réfléchir, de raisonner, de soupeser. Nous n'étions qu'une accumulation de supplices. Une plaie ouverte, une hémorragie. »

* « Sur le couvercle, nous avons découvert une plaque mentionnant son nom, son prénom, l'année de sa naissance, celle de sa mort. Comme si on pouvait résumer les gens à ça, deux mots, deux nombres. Comme si ça pouvait contenir, les espoirs, les étreintes, les danses, les désillusions et les peurs. »

* « On comprend que l'impuissance est une prison. »

* « Nous ne devions pas juger seulement un fait divers, mais un fait social. Nous ne devions pas parler d'une dispute conjugale qui aurait mal tourné, mais bien de l'aboutissement d'un continuum de violence et de terreur. Nous ne devions pas parler d'un meurtre, mais de la volonté d'un homme d'affirmer son pouvoir, d'asseoir sa domination. Et de l'aveuglement de la société. Et la peur de la nommer. »

* « Être rongé par la frustration n'aide pas à guérir. »

 

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Commentaires
A
Je suis toujours autant fan de tes analyses sur toutes les lectures que tu dévores.
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Avec Plume, les mailles s’amusent……et d’autres fils s’en mêlent.
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