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Avec Plume, les mailles s’amusent……et d’autres fils s’en mêlent.
1 février 2023

" Tropique de la violence " de Nathacha Appanah

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 Éditions Folio - 2018 - 187 pages

 Édition originale : Gallimard - 2016

 ISBN 9782072764578

 

 

 

 

 

 

 L'auteur :

Nathacha Appanah

Nathacha Appanah est une romancière mauricienne, née en 1973. Descendante d'une famille d'engagés indiens de la fin du 19e siècle. Elle est encore sur son île lors de ses premiers essais littéraires, puis elle vient s'installer en France et termine ses études de journalisme et d'édition à Lyon. Elle poursuit sa carrière de journaliste à la radio et dans la presse écrite.

Elle publie son premier roman " Les rochers de poudre d'or " en 2003, l'épopée des travailleurs indiens remplaçants les esclaves dans les champs de canne à sucre mauriciens. Ces romans trouvent son lectorat et sont régulièrement récompensés par des prix littéraires. C'est à la suite d'un séjour à Mayotte où elle découvre une jeunesse à la dérive, qu'elle écrit " Tropique de la violence ". Il remporte le tout premier prix Femina des lycéens, le premier Prix Patrimoines 2016, le Prix France Télévisions 2017, le Prix du roman métis des lecteurs 2017 et le Prix du roman métis des lycéens 2017.

 

 4e de couverture :

" De là où je vous parle, ce pays ressemble à une poussière incandescente et je sais qu'il suffira d'un rien pour qu'il s'embrase. "

Sur l'île de Mayotte dans l'océan Indien, les enfants errent, sans foi ni loi. Moïse a été recueilli à la naissance par Marie, une infirmière, qui le couve comme un cadeau inespéré. Mais à l'adolescence, le garçon se lie avec Bruce, chef de gang animé par la rage, qui l'embarque dans l'enfer des rues. Dans ce pays magnifique et au bord du chaos, cinq destins vont se croiser et révéler la violence de leur quotidien.

 

 Mon avis :

 Le récit de Nathacha Appanah n'est pas un dépliant touristique vantant l'exotisme de Mayotte, coin de France perdu dans un lagon bleu turquoise, offrant son récif corallien aux dauphins, aux tortues et aux baleines, à l'ombre des frangipaniers et des hibiscus colorés et odorants, étincelant de sable blond si doux qu'il offre un petit bout de paradis aux voyageurs en veine de dépaysement ! " Tropique de la violence " est l'envers cru du décor de carte postale avec son insécurité, sa dureté et le déchaînement de fureur de ceux qui n'ont rien.

 Plus d'une fois, je me suis cramponnée aux pages du livre, comme à une planche de bois flotté échappée d'un bidonville pour ne pas être submergée et broyée par la violence sadique de Bruce, le caïd de Gaza, condensé de haine et d'agressivité, ni foudroyée par le désespoir de Moïse ayant perdu tous ses repères.

 L'autrice, qui connaît bien cette île pour y avoir vécu, a écrit un véritable plaidoyer contre la misère et la souffrance d'une jeunesse laissée à la dérive (plus de la moitié de la population a moins de 20 ans), vivant sous le seuil de pauvreté, dans des baraquements insalubres, acculée par la vague migratoire importante qui augmente la précarité de l'ensemble de la population.

 Si cette lecture, comme le regrette certains, ne dénonce que la face sombre de la situation politico-économique de cette terre si loin du continent, il n'en reste pas moins que la maîtrise de l'écrivaine est incroyable pour décrire des situations insoutenables, donnant un roman d'une noirceur absolue avec une si grande sensibilité qu'elle en donne la nausée.

 Ce roman polyphonique n'est certainement pas pour les âmes sensibles. Grâce à sa construction narrative, le lecteur pénètre l'intimité de chaque protagoniste. Montrer les enfants Mahorais écorchés vifs livrés à eux-mêmes sans prise de position politique est à la fois déroutant et déchirant. Le plus poignant est de sentir la réalité de la situation sous les identités de fiction. La jeunesse "perdue" de Mayotte est écartelée entre la misère, la drogue, la violence allant jusqu'au meurtre, cocktail tragique lorsque s'établissent un rapport de force et une question de survie.

 Malgré la nuit dans laquelle sont plongés les jeunes mahorais, Nathacha Appanah excelle à exhaler des moments sublimes comme le chant symphonique des oiseaux ou la luxuriance des flamboyants frémissants dans la brise marine, véritables goulées d'air ressourçantes avant de s'enfoncer, à nouveau, dans l'impitoyable loi des plus forts sous le regard impuissant des pouvoirs publics et les actions inefficaces des organisations humanitaires.

 Aimé ou détesté, terminé ou abandonné, " Tropique de la violence " ne peut laisser indifférent ni par son sujet, ni par sa qualité littéraire. L'empreinte laissée par ce roman est une brûlure indélébile et déchirante, par la puissance des sentiments exposés, le réalisme sans concession des personnages et la chute bouleversante quoiqu'inéluctable. J'ai terminé le cœur brisé sur cette question : " Reste-t-il encore de l'espoir pour ces enfants de la misère du bout du monde ? "

 

 Extraits et citations :

* " Oh, après tout, ce n'est peut-être qu'une vieille histoire, cent fois entendue, cent fois ressassée. L'histoire d'un pays qui brille de mille feux et que tout le monde veut rejoindre. Il y a des mots pour ça : eldorado, mirage, paradis, chimère, utopie, Lampedusa. C'est l'histoire de ces bateaux qu'on appelle ici Kwassas Kwassas, ailleurs barque ou pirogue ou navire, et qui existent depuis la nuit des temps pour faire traverser les hommes pour ou contre leur gré. C'est l'histoire de ces êtres humains qui se retrouvent sur ces bateaux et on leur a donné de ces noms à ces gens-là, depuis la nuit des temps : esclaves, engagés, pestiférés, bagnards, rapatriés, Juifs, boat people, réfugiés, sans-papiers, clandestins. "

* " Quand Stéphane me demandait pourquoi je lisais toujours le même livre, je haussais les épaules parce que je ne voulais pas lui expliquer que ce livre-là était comme un talisman qui me protégeait du monde réel, que les mots de ce livre que je connaissais par cœur étaient comme une prière que je disais et redisais et peut-être que personne ne m'entendait, peut-être que ça ne servait à rien mais qu'importe. Ouvrir ce livre c'était comme ouvrir ma propre vie, cette petite vie de rien du tout sur cette île, et j'y retrouvais Marie, la maison et c'était la seule façon que j'avais trouvée pour ne pas devenir fou, pour ne pas oublier le petit garçon que j'avais été. "

* " Mais pour les garçons comme moi qui ont toujours peur, qui ont vécu dans le tout et qui n'ont tout à coup rien, on retourne comme un agneau vers son prédateur. "

* " Les heures et les jours et les années passent sur ce même chemin sans couleurs, sans relief, sans lumière. Les mensonges et les rêves n'existent plus. Seuls subsistent la vie et l'enfer des autres. "

 

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