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Avec Plume, les mailles s’amusent……et d’autres fils s’en mêlent.
26 août 2023

"Le bureau d'éclaircissement des destin" de Gaëlle Nohant

Le bureau d'éclaircissement des destin

 

 

 

 

 

 

 

 Éditions  Grasset - 2023 - 411 pages 

 ISBN 9782246828860

 

 

 

 

 

 

 L'auteur :

G Nohant

Gaëlle Nohant est une écrivaine française née en 1973. Après des études de Lettres, son premier roman fantastique, "L'Ancre des rêves", paraît en 2007, récompensé du prix Encre Marine. Son deuxième roman, "La part de flammes" a connu un vif succès, et a obtenu de nombreux prix littéraires en 2015.

L'autrice n'est pas dans la spirale d'une production commerciale. C'est peut-être la raison pour laquelle chacun de ses livres attire l'attention lors de leur parution. Elle prend le temps de peaufiner son écriture sur des sujets ciblés, jetant les histoires de ses personnages de fiction dans des grandes pages de l'Histoire.

"Le bureau d'éclaircissement des destins" est son sixième roman.

 

 

 4e de couverture :

 Au cœur de l’Allemagne, l’International Tracing Service est le plus grand centre de documentation sur les persécutions nazies. La jeune Irène y trouve un emploi en 1990 et se découvre une vocation pour le travail d’investigation. Méticuleuse, obsessionnelle, elle se laisse happer par ses dossiers, au regret de son fils qu’elle élève seule depuis son divorce d’avec son mari allemand.

 À l'automne 2016, Irène se voit confier une mission inédite : restituer les milliers d’objets dont le centre a hérité à la libération des camps. Un Pierrot de tissu terni, un médaillon, un mouchoir brodé… Chaque objet, même modeste, renferme ses secrets. Il faut retrouver la trace de son propriétaire déporté, afin de remettre à ses descendants le souvenir de leur parent. Au fil de ses enquêtes, Irène se heurte aux mystères du Centre et à son propre passé. Cherchant les disparus, elle rencontre ses contemporains qui la bouleversent et la guident, de Varsovie à Paris et Berlin, en passant par Thessalonique ou l’Argentine. Au bout du chemin, comment les vivants recevront-ils ces objets hantés ?

 Le bureau d’éclaircissement des destins, c’est le fil qui unit ces trajectoires individuelles à la mémoire collective de l’Europe. Une fresque brillamment composée, d’une grande intensité émotionnelle, où Gaëlle Nohant donne toute la puissance de son talent.

 

 Mon avis :

 Il y a quelques années, j'avais lu "La part des flammes" de Gaëlle Nohant dont j'avais apprécié la façon de sculpter les personnages et de les plonger au cœur d'un fait historique. Lors d'une émission littéraire, j'ai écouté l'autrice exposer le sujet de son nouveau roman. Je me suis empressée de le noter dans ma liste de LAL (Livres à Lire), plus importante que ma PAL (Pile à Lire), mais beaucoup moins encombrante. Enfin, j'ai pu m'accorder le temps de le découvrir.

 Je le referme, bouleversée à bien des égards. J'ai beaucoup lu sur la Deuxième Guerre mondiale et ses atrocités, les camps, l'Holocauste, toujours avec la même stupéfaction, tentant de comprendre la raison de tant d'atrocités gratuites. La loi du silence régnait en maître à cause de la terreur infligée par la dictature nazie. Il est facile de juger quand on n'a pas vécu cette période abominable, heureusement ponctuée de belles âmes qui n'ont pas hésité à se mettre en danger et qui le payaient souvent de leur vie. Il ne faut pas sous-estimer l'endoctrinement particulièrement sévère que subissaient les jeunes esprits allemands, dont certains n'ont pas hésité à dénoncer leurs parents qu'ils ne trouvaient pas assez fervents ! 

 Je savais qu'une organisation internationale s'occupait des recherches des rescapés des camps et de leur famille, ainsi que des Nazis fondus dans le décor. Cependant, j'ignorais son fonctionnement et tous les détails révélés par cette lecture enrichissante, étayée par de sérieuses recherches et d'importants témoignages d'enquêteurs. La neutralité de certains organismes, déterminés à rester aveugles, sous le prétexte commode de laisser les vieilles blessures au passé et de se tourner vers l'avenir, a, dans bien des cas, été un moyen facile de ne pas évoquer un comportement devenu pour le moins gênant. 

 Pour mémoire, il faut savoir que, dès la fin du conflit, les survivants ont cherché à avoir des pistes pour connaître le destin de leurs disparus. L'UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation Administration - Administration des Nations unies pour l’Organisation des Secours et de la Reconstruction) a établi son siège de façon pérenne, en janvier 1946, dans une petite ville de la Hesse, au centre géographique des quatre zones d’occupation d’Allemagne, Bad Arolsen. En 1947, elle devient l'IRO (International Refugee Organization - Organisation Internationale pour les Réfugiés). Un an plus tard, le service change à nouveau de nom et s'appelle ITS (International Tracing Service - Service International de Recherches). Au fil du temps, ses actions se sont multipliées et diversifiées grâce à un volume, de plus en plus grandissant, de documents collectés. Depuis 2019, l'ITS est devenu les Archives Arolsen, regroupant plus de 30 millions de documents, l'une des plus grandes collections de données sur les victimes du National-Socialisme allemand. Arolsen possède aussi des millions d'effets personnels, de menus objets récupérés lors de la libération de certains camps de concentration. En 2016, des enquêteurs sont engagés pour tenter d'identifier leurs propriétaires afin de les restituer à leurs descendants.

 Irène, l'enquêtrice créée de toute pièce par Gaëlle Nohant, est en charge de cette restitution. À ses côtés, j'ai vibré au rythme de ses déconvenues, lorsque qu'une piste se refroidissait, et de ses espoirs, quand un fil ténu de l'écheveau, qui semblait rompu, reprenait vie dans une nouvelle direction. Cette femme témoigne d'un réel engagement envers les morts, mais aussi envers les vivants. Elle voyage à travers l'Europe et fait des rencontres très fortes qui vont la mettre face à son histoire et à son humanité.

 Certains n'ont pas adhéré aux personnages fictifs jalonnant le récit. Personnellement, je trouve cette façon de rendre hommage à toutes les victimes, très élégante et immensément respectueuse. Ainsi, l'autrice, se calquant sur des données précises et véridiques, ne commet aucune erreur, aucun oubli, aucune maladresse. L'une des qualités suprêmes d'un roman est sa puissance d'évocation qui est capable de transporter le lecteur à travers le temps. Les portraits tracés sont très forts. Ils résonnent de justesse, vivent des atrocités qui ont réellement existé. Ils incarnent l'histoire déchirante de ses êtres bafoués, traités comme une "cargaison" encombrante à supprimer. Provenant de l'imaginaire, ils ne peuvent blesser qui que ce soit par des révélations douteuses, comme l'ont fait quelques écrivains, heureusement peu nombreux.

 D'autre part, le temps passe et les contemporains de la Seconde Guerre mondiale s'éteignent peu à peu. "Le bureau d'éclaircissement des destins" n'est pas un livre sur la guerre, c'est un livre sur les traces de la guerre laissées en héritage à la jeune génération. Les objets dont s'occupe Irène sont porteurs de l'histoire de leurs propriétaires et de certains secrets. Ils sont hantés par un lourd passé et leurs héritiers ne sont pas toujours préparés à les recevoir. Pourtant, il est essentiel de rétablir le lien rompu par la folie des hommes afin de permettre éventuellement à des proches de détenir une preuve tangible de l'existence d'un parent, évaporé sans laisser de traces et, peut-être, de pacifier avec leur propre histoire. "La vie du disparu devient plus importante que sa mort." assène Gaëlle Nohant avec une conviction que je partage.

 Beaucoup de passages m'ont émue par une infinie tristesse dépourvue de colère. La sublime déclaration d'Allegra m'a totalement transportée comme rarement une lettre d'amour peut y parvenir. Irène et tous les protagonistes du présent ou du passé m'ont entraînée dans un magnifique voyage, dans lequel, malgré la douleur et les atrocités, commises encore aujourd'hui, la lumière jaillit toujours de l'obscurité, ce qui permet de garder un peu d'espoir en l'avenir.

 

 Extraits et citations :

* « Le petit Karl, on voyait que c'était un bon gamin. Vous allez me dire, au moins il était aimé. C'est vrai. Mais vous croyez, vous, qu'on pousse droit sur un sol empoisonné ? Que l'amour suffit à racheter le crime et le mensonge ? Moi, je pense que tôt ou tard ça se déglingue. »

* « Après la guerre, les soldats qui avaient commis ces crimes avaient été absous de toute culpabilité. Et tout ce temps, pendant qu'on glorifiait la Wehrmacht, sa bravoure et ses valeurs, on les laissait affronter seuls ce que le nazisme avait fait d'eux. Ce qu'ils s'étaient fait à eux-mêmes. »

* « L'odeur revient parfois, comme un fantôme. »

* « Le jamais plus de Treblinka est un mantra que des sourds psalmodient pour des aveugles. »

* « [...] les documents administratifs de l'époque sont glaçants. La note griffonnée au bas d'un formulaire révèle l'opportunisme d'un fonctionnaire, l'absence d'empathie pour les populations pourchassées que son autographe condamne à la mendicité, à l'exil ou à la déportation. La sécheresse de ces traces de papier est un couperet. Elle dément les justifications d'après-guerre. On n'y déchiffre aucune velléité de sauver, mais une indifférence meurtrière. »

* « Complaisants envers les dignitaires nazis, les délégués suisses avaient refusé de protester contre les déportations. Ceux qui visitaient les camps ne trouvaient rien à redire aux conditions d'internement. Une cécité diplomatique nourrie par l'antisémitisme [...]. La neutralité s'arrangeait de ces compromissions. À la libération, la Croix-Rouge internationale s'était donné beaucoup de mal pour qu'on les oublie. »

* « Même si on ne répare personne, [...] si l'on peut rendre à quelqu'un un peu de ce qui lui a été volé, sans bien savoir ce qu'on lui rend, rien n'est tout à fait perdu. »

 

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Commentaires
A
celui-ci je viens de finir de le lire ; il m'a fait découvrir une autre facette de cette triste période, et appris des choses que j'ignorais totalement...
Répondre
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