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Avec Plume, les mailles s’amusent……et d’autres fils s’en mêlent.
9 septembre 2020

" Le livre que je ne voulais pas écrire" de Erwan Larher

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 Quidam Éditeur - 2017

 260 pages

 

 

 

 

 

 

 L'auteur:

Erwan Larher est né à Clermont-Ferrand le 28 juillet 1970. Depuis tout jeune ado, il est passionné par les mots. Son premier roman, il le construit à 14 ans. Solidement diplomé, il commence sa carrière dans l'industrie musicale sans oublier d'écrire romans, paroles de chansons, théâtre, séries TV ... etc. Il abandonne son parcours professionnel pour se consacrer exclusivement à l'écriture sans perdre "d'oreille" la musique. 

Son premier roman "Qu'avez-vous fait de moi?" paraît en août 2010. "L'abandon du mâle en milieu hostile" est récompensé par le Prix Claude-Chabrol et le Prix Louis-Barthou de l'Académie française en 2013. Actuellement, il a sept romans à son actif. "Le livre que je ne voulais pas écrire" est son sixième.

Le 13 novembre 2015, le hasard ne faisant pas toujours bien les choses, Erwan Larher, comme plusieurs centaines de personnes, va vivre l'Horreur.

 

 4° de couverture:

Je suis romancier.

J'invente des histoires. Des intrigues. Des personnages. Et, j'espère, une langue. Pour dire et questionner le monde, l'humain.

Il m'est arrivé une mésaventure, devenue une tuile pour un romancier qui partage ma vie: je me suis trouvé un soir parisien de novembre au mauvais endroit au mauvais moment; donc lui aussi.

Erwan Larher écrit à la main, ce qui lui laisse peu de temps pour faire autre chose de sa vie.

 

 Mon avis: 

J'aime les défis et j'aime les mots. Je déteste le pathos et les lamentations. Je suis très sensible aux couvertures des ouvrages. Quand ce livre a atterri entre mes mains, j'ai été submergée par un déferlement de sentiments désordonnés bien avant de tourner la première page. Un auteur que je ne connaissais pas, un événement qui m'avait blessé au plus profond de moi comme beaucoup d'anonymes, témoins sidérés et incrédules et des santiags bleues extraordinaires. Aurai-je le courage de me replonger dans les atrocités du Bataclan, vécues par procuration, bien calée à l'abri confortable de mon fauteuil ? C'est avec la prudence d'un entomologiste soulevant l'aile d'un papillon que je me suis glissée dans ce bouquin. 

Il est assez rare d'être confrontée à un texte utilisant la 2° personne du singulier. Cette conjugaison me trouble toujours car je ressens une intimité avec l'auteur peu commune, comme si son aventure devenait mienne, comme si j'arrivais à pénétrer son âme malgré moi. Dans ce cas précis, j'avais l'impression d'avancer en terrain miné, c'est peu de le dire, à la rencontre de l'indicible, ayant la sensation de m'accaparer illégitimement un témoignage qui ne m'appartenait pas ... Pourtant malgré mon appréhension, je ne pouvais résister au ton de l'auteur, l'autodérision ancrée en bout de plume il m'a entraînée jusqu'au bout de l'horreur en arrivant à me faire sourire ... beaucoup!

À aucun moment du récit, pas même au point culminant de la tuerie, Erwan Larher ne sombre dans le pathos. Il est très factuel dans une démarche quasi philosophique qui fait du bien. Il est facile d'émettre un jugement sur l'Histoire ou sur une histoire à laquelle on n'a pas participé. De nos jours on dégaine un peu trop vite les termes "héros", "victime", "passif", "actif" ...etc. L'humain doit avoir besoin de se rassurer pour classer les individus dans des cases en oubliant que leurs bords diaphanes leur permettent de naviguer aisément de l'une à l'autre, voire en occuper plusieurs à la fois en fonction des épreuves qu'ils traversent. Et moi, je déteste les cases! 

L'écrivain n'accorde aucune concession à sa "docilité" à faire le mort, ne bougeant pas un cil malgré la douleur qui le terrasse après avoir reçu une balle dans le corps, attendant inéluctablement celle qui lui exploserait la tête. Lové contre une barrière, il se cramponne au mantra de Sigolène, rescapée de Charlie Hebdo quelques mois plus tôt: "Je suis Sigolène, je suis un caillou!". Passé inaperçu face aux tirs meurtriers, il se décerne le titre de Super Lavette n'ayant pu endosser celui de Super Héros. Mais les supers pouvoirs n'existent que dans les livres ou dans les films où les balles à blancs fusent et le ketchup coule à flots. Super Lavette connaît les hurlements de terreur, le goût du sang poisseux, l'odeur de la mort, Super Héros non! La vraie vie, les vraies balles, la vraie faucheuse, c'est bien autre chose qu'un jeu de simulation. Super Lavette est terriblement humain, émouvant, railleur, tellement rassurant qu'on l'aime! 

"On est sauvés! penses-tu aussitôt. Putain, on est sauvés! Relâchement total. Tu n'es plus Sigolène, tu n'es plus un caillou (...) En fait, c'est le début de ton calvaire." Le récit ne s'arrête pas au sauvetage des otages mais se poursuit pendant les mois qui ont suivi avec les soins, la rééducation, l'anxiété de retrouver son intégrité physique, la chaleur des intimes, la bienveillance, le professionnalisme et le dévouement des soignants auxquels il rend un hommage appuyé. Il n'y a pas si longtemps, nous avons tous pu en prendre conscience, du moins je l'espère! Super Lavette laisse la place à Super Chochotte, au même humour ravageur qui n'hésite pas à crier sa souffrance, son désarroi, son incompréhension. Le cœur se tord violemment parce que nous, lecteurs, restons spectateurs impuissants. Il y a une expression si souvent répétée pour exprimer sa compassion: "Je comprends! Je partage votre douleur!" Quelle imposture! Non, on peut essayer d'imaginer, d'éprouver de l'empathie, mais on ne peut pas vivre à la place de quelqu'un déchiré par un drame, même si on a connu une situation similaire. Jamais!

Erwan Larher se défend d'avoir écrit un témoignage pas plus qu'un récit des vingt minutes écoulées dans la salle de concert du Bataclan. Il présente son livre comme un "objet littéraire". C'est effectivement un ouvrage particulier, savamment agencé entre différentes formes de littératures. Récit du "Pendant" et de "l'Après" ... Fiction essayant d'appréhender la motivation des tueurs, le déroulement de leurs pensées, leur endoctrinement, leurs peurs ... Souvenirs de jeunesse ... Témoignages d'intimes, compagne, parents, amis, écrivains ... Extraits de messagerie que tous ceux ayant eu des proches à Paris le 13 novembre 2015 pour quelques raisons que ce soit ont pu lire sur leur portable.

L'érudition de l'auteur est incontestable et c'est avec plaisir que j'ai retrouvé la mythologie qui m'a toujours passionnée. Les 3 Moires grecques devenues Parques à Rome. Si Clotho tisse le fil de la vie et Atropos le coupe, Lachésis qui le déroule, veille à la destinée et son ombre plane sur le texte. Comble de l'ironie, l'écrivain en soin et rééducation après son opération pour réparer les dégâts provoqués par la balle qui lui a traversé une fesse, a passé sa convalescence à corriger le manuscrit de son futur roman à paraître "Marguerite n'aime pas ses fesses". Lachésis quand tu nous tiens ! 

Erwan Larher ne voulait pas écrire ce livre et il a rudement bien fait de l'écrire. Je ne voulais pas le lire et j'ai rudement bien fait de le lire. Son écriture est d'une élégance incroyable, rapide, précise teintée de beaucoup d'humour avec un vocabulaire très riche. Grâce à lui, j'ai découvert des mots comme "apodicité", "irréfragable" et des expressions "oreilles hippocratiques", "hédonisme consumériste",  ignare que je suis ... Un peu moins maintenant, merci Erwan ! Découvrant l'extraordinaire sens de la narration de cet auteur avec cet "objet littéraire", je ne vais pas en rester là. Je vais m'inviter dans son monde de fiction par l'intermédiaire de ses romans avec mon dico à portée de main...on ne sait jamais!

"La littérature n'arrête pas les balles. Par contre, elle peut empêcher un doigt de se poser sur une gâchette. Peut-être. Il faut tenter le pari." Erwan Larher

 

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