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Avec Plume, les mailles s’amusent……et d’autres fils s’en mêlent.
9 septembre 2021

"Le lambeau" de Philippe Lançon

 

Le lambeau 

 

 

 

 

 Éditions Folio - 2019

 511 pages

 Édition originale : Gallimard - 2018

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 L'auteur :

Philippe Lançon

Philippe Lançon est né à Vanves en 1963. Journaliste et romancier français, il est chroniqueur et critique littéraire au quotidien Libération avec une passion marquée pour la littérature latino-américaine. Il est également chroniqueur dans l'hebdomadaire Charlie Hebdo ce qui lui vaudra son face-à-face avec la mort le 7 janvier 2015 avec tous ses collègues et amis présents ce jour-là. Gravement blessé au visage, il subira une succession d'opérations reconstructives pendant une hospitalisation de plusieurs mois. En 2018, il raconte son calvaire physique et psychologique pour lequel il reçoit le Prix Fémina et un Prix Renaudot Spécial.

  

 4° de couverture :

"Je me souviens qu'elle fut la première personne vivante, intacte, que j'aie vue apparaître, la première qui m'ait fait sentir à quel point ceux qui approchaient de moi, désormais, venaient d'une autre planète - la planète où la vie continue."

Le 7 janvier 2015, Philippe Lançon était dans les locaux de Charlie Hebdo. Les balles des tueurs l'ont gravement blessé. Sans chercher à expliquer l'attentat, il décrit une existence qui bascule et livre le récit bouleversant d'une reconstruction, lente et lumineuse.

En opposant à la barbarie son humanité humbleLe lambeau nous questionne sur l'irruption de la violence guerrière dans un pays qu'on croyait en paix.

 

 Mon avis :

Comment parler d'un récit dont tout a été dit ? Quel est l'intérêt d'apporter ma petite pierre, mon grain de sable, à l'édifice déjà bien fourni, composé par la totalité des avis, publiés ou non, concernant ce livre ? Parce qu'il y a des moments qui ne peuvent sombrer dans l'oubli et disparaître de la conscience collective. Sans entretenir un culte haineux ni se complaire dans le déchirement qu'engendre la violence, le devoir de mémoire que la société entière doit aux rescapés de tueries hallucinantes réside dans la lecture de ces nombreux témoignages dont celui de Philippe Lançon. Nous, "les habitants de l'autre planète où la vie continue", nous, les inconscients colocataires de la violence absurde qui explose sporadiquement, mais régulièrement dans notre pays, nous nous devons d'entendre l'enfer de ceux qui ont vécu le pire.

Des dates restent incrustées à jamais dans nos esprits. Chacun d'entre nous se souvient, avec la précision d'une mémoire photographique, où nous nous trouvions et ce que nous faisions le 11 septembre 2001, le 13 novembre 2015 et bien sûr, le 7 janvier 2015 ainsi que les deux jours suivants. Nous avons tous été ébranlés par ces déferlements de violences aussi absurdes que mortels. Toutes les victimes et leurs proches gardent ces dates gravées à jamais dans leur corps, leur cœur et le tréfonds de leur âme.

J'ai rencontré la plume de Philippe Lançon sur une autre planète, celle où on ne massacre pas des dessinateurs parce qu'ils manient les crayons avec brio, celle où on ne tue pas des hommes et des femmes parce qu'ils préparent shabbat tous les samedis, celle où on n'abat pas les représentants de l'Ordre Public parce qu'ils portent un uniforme de la République. Non ! J'ai découvert cette plume en lisant des chroniques littéraires au hasard de mes rencontres avec Libération et, surtout, avec le récit court de "L'élan" paru chez Gallimard en 2013 et j'ai aimé. J'ai aimé l'art de raconter en phrases courtes et percutantes, l'amour après l'amour. La passion invivable et enflammée d'un couple après qu'ils se soient follement aimés. Complexe, surprenant, aussi baroque et fantaisiste que la musique de Mozart invitée dans le duo, passant de la joie infantile à la mélancolie dévastatrice. Une autre planète donc ...

J'ai retrouvé ce style dans "Le Lambeau" avec toute l'érudition de son auteur, mais dans un cadre combien plus douloureux, ce "hoquet sanglant de l'Histoire" comme il le définit lui-même. Si la terreur doublée d'incompréhension fait inévitablement partie du récit, il n'est ni une oraison larmoyante sur les événements atroces qui se sont déroulés dans les locaux de Charlie Hebdo, ni un plaidoyer revanchard sur les choix politiques qui ont pu conduire à une telle horreur. Avec l'évocation du souvenir et l'admiration que Philippe Lançon a pour ses amis disparus, vient l'essence même du livre, sa lente progression vers une reconstruction psychique et physique. L'enchaînement des opérations sans fin, les réussites, les échecs, la souffrance intolérable, le cheminement chirurgical pour reconquérir une fonction vitale et son identité pendant près d'une année. L'auteur rend hommage à toutes les équipes hospitalières qui ont pris en charge sa détresse. Chloé, sa chirurgienne plastique, phare blond dans le brouillard, à laquelle il doit la réparation de sa "gueule cassée". Serge son kiné, l'obligeant avec une ferme délicatesse de pousser toujours plus loin ses limites en respectant ses capacités du moment. Les infirmiers, les aides-soignants, tout le staff hospitalier où chaque maillon est important pour que la guérison soit au bout du chemin. Il n'oublie pas les policiers qui ont assuré sa sécurité dans l'ombre et l'ont veillé, jour après jour, à la porte de sa chambre comme lors de ses promenades extérieures devenant le rempart protecteur et silencieux de l'animosité invisible. Puis vient le temps de s'extraire de son "petit Golgotha hospitalier", pour se frayer un passage vers le monde "d'avant", celui qui a volé en éclats au matin du 7 janvier 2015 ; pas si facile quand on est resté dans une dimension parallèle, sans agression radiophonique ni télévisuelle seulement accompagné par la musique de Bach, les textes de Proust et de Kafka tels des mantras ! "Bach et Kafka : l'un m'apportait la paix et l'autre une forme de modestie et de soumission ironique à l'angoisse".

Je n'en dirai pas plus, sinon quelques mots pour éclairer mon ressenti au sortir de cette lecture : souffrir, espérer, pleurer, aimer, tressaillir, écrire, sursauter, rêver, se souvenir, trembler, tant d'émotions pour tendre vers le but ultime, transformer le Survivant en Vivant. L'important est de lire ce témoignage dense et intimiste, écrit comme un exorcisme de la violence et du deuil sans aucune hostilité, même vis-à-vis des "deux jambes noires de K". Ce voyage intérieur dans lequel Philippe Lançon accepte de nous emmener est un coup de poing viscéral et intellectuel, une mise à nu totale sans fausse pudeur, d'une intensité à faire vibrer chaque parcelle notre corps ; nous qui "habitons la planète où la vie continue." 

 

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