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Avec Plume, les mailles s’amusent……et d’autres fils s’en mêlent.
28 février 2023

"Va et poste une sentinelle" de Harper Lee

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 Éditions Grasset - 2015 - 333 pages

 Titre original : Go set a Watchman

 Traducteur : Pierre Demarty - anglais (USA)

 ISBN 9782246858683

 

 

 

 

 L'auteur :

H

Harper Lee est une romancière américaine née en 1928. Native de l'Alabama, elle a vécu toute son enfance dans les États-Unis ségrégationnistes. En 1945, elle interrompt ses études de Droits pour s'installer à New-York avec l'idée de devenir romancière. Elle effectue un travail de recherche et de documentation pour son ami Truman Capote et l'assiste dans la rédaction de son quatrième roman, "De sang froid" (1965) qu'il lui dédicacera.

 Le mystère qui entoure sa vie donne lieu à une multitude de suppositions et de rumeurs colportées par les médias. En 1960, paraît son premier livre "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" dans lequel elle appelle à la reconnaissance des droits civiques des Afro-Américains ainsi qu'à l'abolition de toute forme de discrimination. Il connaît un succès immédiat et son auteure est récompensée par le Prix Pulitzer l'année suivante.

 Elle surprend tout le monde en publiant une suite, "Va et poste une sentinelle", après 55 ans de silence. C'est son deuxième et dernier roman puisqu'elle disparaît quelques mois plus tard.

 

 4e de couverture :

Jean Louise Finch, dite "Scout", l'inoubliable héroïne de Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, est de retour dans sa petite ville natale de l'Alabama, Maycomb, pour rendre visite à son père, Atticus. Vingt ans ont passé. Nous sommes au milieu des années 1950, et la nation se déchire autour des questions raciales. Confrontée à la société qui l'a façonnée mais dont elle croit être affranchie en partant vivre à New-York, Jean Louise va découvrir ses proches sous un jour inédit...

Chronique douce-amère de l'adieu à l'enfance, entre tendresse et férocité, espoir et désenchantement, révolte et révélations, Va et poste une sentinelle est le deuxième roman de l'auteur de Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur mais fut écrit avant son livre culte, prix Pulitzer en 1961. Si sa publication constitue aujourd'hui un événement majeur, ce n'est pas seulement parce qu'il a fallu attendre plus d'un demi-siècle pour connaître son existence, ni parce qu'il a d'ores et déjà battu tous les records de ventes (plus d'1,1 million d'exemplaires en une semaine lors de sa parution aux États-Unis), mais aussi, et surtout, parce qu'il s'agit d'un grand livre, puissant, émouvant, dérangeant : un troublant miroir tendu à un monde qui, malgré le passage du temps, nous parle toujours du nôtre.

 

 Mon avis :

 Après la lecture merveilleuse de "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" de Harper Lee, et le visionnage de son adaptation cinématographique par Robert Mulligan en 1962 "Du silence et des ombres" avec Gregory Peck, j'ai voulu poursuivre l'aventure de la bourgade de Maycomb, vingt ans plus tard, en pleine déségrégation. Je me suis plongée dans "Va et poste une sentinelle" en sachant que je pouvais aller au-devant d'une déconvenue.

 En effet, la petite Scout de 6 ans a grandi. À 26 ans, Jean Louise vit maintenant à New-York, au pays des Yankees, bien loin de son Alabama natal où elle revient pour un séjour de vacances. Il ne lui faut pas longtemps pour se rendre compte que, bien que ses racines soient solidement ancrées dans cette terre, elle n'est plus une fille du Sud. Toujours rebelle et spontanée, elle ne sera jamais la ménagère soucieuse du confort de son mari, comme le sont devenues toutes les filles de sa classe. Cette nouvelle histoire est assez déroutante lorsqu'on a gardé le souvenir des personnages marquants de "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" ; Atticus Finch, son père, Calpurnia, sa nounou noire et Henry Clinton, son ami d'enfance. Comment les oublier ?

 Si ce livre est, chronologiquement, la suite du prix Pulitzer 1961, il faut garder à l'esprit qu'en fait, il a été le livre premier. Il est donc contemporain de l'époque qu'il décrit. Grâce aux mouvements d'opposition, donnant souvent lieu à des échauffourées violentes, parfois sanglantes, la ségrégation raciale est de plus en plus contestée à partir du milieu des années 50, notamment par des organisations comme la NAACP, National Association for the Advancement of Colored People, en traduction littérale, Association Nationale pour la Promotion des Gens de Couleur réclamant l'égalité des droits civiques quelle que soit la couleur de peau.

 Après de nombreux refus de différentes maisons d'édition, un éditeur a été intéressé par le sujet. Il a proposé à Harper Lee de revoir son manuscrit et d'explorer les nombreux souvenirs évoqués dans le récit. L'écrivaine a alors déplacé son récit 20 ans plus tôt et a confié la narration à Scout, petite fille espiègle et réfléchie, au regard innocent.

De plus, il dévoile des personnalités assez différentes. D'attachantes, elles deviennent presque malsaines, dérangeantes par des propos nauséabonds : "Souhaites-tu voir des cars entiers de Noirs débouler dans nos écoles, nos églises et nos théâtres ? Souhaites-tu les voir entrer dans notre monde ?", "Souhaites-tu que tes enfants aillent dans une école qui s'est rabaissée pour accueillir des enfants noirs ?", "Que se passerait-il si les Noirs du Sud obtenaient du jour au lendemain leurs droits civiques plains et entiers ? [...] Ce serait le début d'une nouvelle Reconstruction. Tu voudrais que nos États soient dirigés par des gens qui n'ont pas la moindre idée de ce qu'est le gouvernement ?" La trahison ressentie par Jean Louise est immense, engendrant celle du lecteur, en voyant les solides défenseurs de l'équité, 20 ans plus tôt, assister sans broncher au Conseil des Citoyens de Maycomb, véhiculant des messages racistes.

 Jean Louise, devenue new-yorkaise, ayant épousé la vision yankee, ne perçoit ni le désarroi des siens devant le bouleversement de leur société s'engouffrant vers un inconnu terrifiant, ni le mépris des Noirs à son égard, surtout celui de Calpurnia, sa mère de substitution. Elle ne voit qu'injustice et discrimination. A-t-elle tort ?

 Le désarroi est total face au comportement d'Atticus, le père tant aimé, modèle de bienveillance et de tolérance. Mais en fait, il faut réagir dans le sens inverse, en remontant le temps. Atticus, vénérable septuagénaire ayant une place représentative dans la société de Maycomb, est un Blanc engagé (infiltré ?) qui défend les "droits" de sa communauté face à l'inquiétude d'un changement radical de société imposé par le Nord. Dans le manuscrit repensé et réécrit, il devient un humaniste, à la foi rivée sur l'idée de l'égalité pour tous, Noirs comme Blancs. Il a évolué avec le courant de pensée des années 60. Le fait de le transposer, 20 ans plus tôt, temps où la ségrégation battait son plein, a été l'idée révolutionnaire et géniale qui a vraisemblablement participé au succès du premier roman.

 Mais alors, qu'en était-il du KKK et de ses partisans ? Ce phénomène était un mouvement fort à l'époque avec toujours le même ressort de fonctionnement. Quelques racistes radicalisés surfaient sur la vague de la peur, le manque de connaissance de l'autre et de la différence, pour attiser la haine, attirant ainsi dans leurs filets des personnes aux avis plus modérés, mais néanmoins inquiets de voir leur modèle de société, celle qu'ils avaient toujours connue, voler en éclats. C'est à ce point crucial du récit et grâce à l'oncle de Scout, le Dr Jack Finch, que j'ai compris la raison de ce titre intrigant : "Va et poste une sentinelle" : « [...] c'est quand ils ont tort que tes amis ont le plus besoin de toi, Jean Louise. Pas quand ils ont raison... » Je n'en dirai pas plus, car je serai obligée d'entrer dans des détails qui dévoileraient trop de choses.

 Finalement, je n'ai pas été déçue par ce livre pour plusieurs raisons. D'abord, j'avais été avertie par plusieurs amies de la déception qui me guettait au tournant, sachant que j'avais été enthousiasmée par "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" et tous les messages qu'il véhiculait. J'étais prévenue ! Puis, avec tout le respect que je dois à l'autrice, l'idée que ce roman était le premier jet de l'histoire de Scout, comme un brouillon, ne m'a pas quitté un seul instant, ce qui m'a beaucoup aidée à relativiser lors de séquences difficiles, surtout lorsque je ne retrouvais pas les traits de caractère qui m'avaient envoûtée. Pas facile de devoir déboulonner l'image d'un "preux chevalier" intègre !

 Cependant, une question reste en suspens. Pour quelle raison Harper Lee, ayant volontairement choisi d'envelopper sa vie de mystère et de rester dans l'ombre, a-t-elle éprouvé le besoin de faire paraître ce bouquin, antérieur à "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur", 55 ans après ? Bien qu'il contienne les germes de ce qui induira le succès de la version remaniée, à mon avis, il n'en a pas les qualités et pourrait même porter atteinte à la magie qu'il s'en dégage. Je ne veux pas entrer dans la polémique qui a suivi le battage médiatique et juridique dès la parution de ce volume, quelques mois avant la disparition de son autrice. Il y a suffisamment d'articles plus ou moins éclairant sur le sujet, à lire ou à ignorer. 

 En conclusion, je suis heureuse d'être allée au bout de cette histoire. Non seulement Harper Lee est l'un des rares auteurs dont j'ai lu l'ensemble de l'œuvre (2 romans !!!), mais il me semble que j'ai assisté à un phénomène généralement méconnu du lectorat : comment un récit relativement quelconque, bien que non dépourvu d'intérêt, a évolué, après maintes modifications, pour devenir un best-seller mondialement connu. 

 

 Extraits et citations :

* « Quand un homme dit « Voici la vérité », et qu'on le croit, et qu'on découvre par la suite que ce qu'il dit n'est pas la vérité, alors on est déçu et on veille à ne plus jamais se laisser tromper. »

* « La naissance, chez les humains, est un événement fort déplaisant. Chaotique, extrêmement douloureux, parfois risqué. Toujours sanglant. Il en va de même pour les civilisations. Le Sud est en train d'éprouver l'extrême souffrance des ultimes contractions de sa venue au monde. »

* « Un homme peut condamner ses ennemis, mais il est plus sage de chercher à les connaître. »

* « Le préjugé - un terme péjoratif - et la foi - un terme noble - ont quelque chose en commun : ils commencent tous les deux là où la raison s'arrête. »

* « [...] c'est quand ils ont tort que tes amis ont le plus besoin de toi, Jean Louise. Pas quand ils ont raison... »

 

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