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Avec Plume, les mailles s’amusent……et d’autres fils s’en mêlent.
24 février 2023

"Âme brisée" d'Akira Mizubayashi

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 Éditions Gallimard - 2019 - 238 pages

 ISBN 9782072840487

 

 

 

 

 

 

 

 L'auteur :

Akira Mizubayashi

Akira Mizubayashi est un écrivain japonais né en 1951. Après des études de langues et de civilisations étrangères à Tokyo, il entame une formation pédagogique, en 1973, à Montpellier, lui permettant d'enseigner le français. De retour à Tokyo, trois ans plus tard, il obtient une maîtrise de lettres modernes. En 1979, il revient en France pour entrer à l'École Normale Supérieure de Paris et obtient le titre de Docteur après une thèse sur Jean-Jacques Rousseau. Depuis 1983, il enseigne le français à l'université dans la capitale nipponne.

C'est à l'âge de 59 ans qu'il écrit son premier livre dans la langue de Molière. Il a une façon toute littéraire de l'expliquer : "Je suis né au Japon de parents japonais ; j'ai grandi au Japon, j'ai toujours vécu au Japon. Ce n'est pas la France que j'habite, c'est la langue de ce pays que j'habite." Ces romans ont obtenu de nombreux prix, toujours salués par la critique et appréciés de son lectorat.

 

 4e de couverture :

Tokyo, 1938. Quatre musiciens amateurs passionnés de musique classique occidentale se réunissent régulièrement au Centre culturel pour répéter. Autour du Japonais Yu, professeur d’anglais, trois étudiants chinois, Yanfen, Cheng et Kang, restés au Japon, malgré la guerre dans laquelle la politique expansionniste de l’Empire est en train de plonger l’Asie.
Un jour, la répétition est brutalement interrompue par l’irruption de soldats. Le violon de Yu est brisé par un militaire, le quatuor sino-japonais est embarqué, soupçonné de comploter contre le pays. Dissimulé dans une armoire, Rei, le fils de Yu, onze ans, a assisté à la scène. Il ne reverra jamais plus son père... L’enfant échappe à la violence des militaires grâce au lieutenant Kurokami qui, loin de le dénoncer lorsqu’il le découvre dans sa cachette, lui confie le violon détruit. Cet événement constitue pour Rei la blessure première qui marquera toute sa vie...
Dans ce roman au charme délicat, Akira Mizubayashi explore la question du souvenir, du déracinement et du deuil impossible. On y retrouve les thèmes chers à l’auteur d’Une langue venue d’ailleurs : la littérature et la musique, deux formes de l’art qui, s’approfondissant au fil du temps jusqu’à devenir la matière même de la vie, défient la mort.

 

 Mon avis :

 Ce roman est une invitation au voyage, entre la France et le Japon, entre la barbarie de la Guerre de 15 ans et l'universalité de la musique, entre les fantômes et les vivants. Si je dis que la musique est présente tout au long du récit, je sais déjà que certains vont penser : "Ce roman n'est vraiment pas pour moi." Quelle erreur ! Il n'est pas besoin d'être musicien, ni même mélomane, pour vivre cette histoire tout en poésie et délicatesse. Depuis que j'ai découvert la littérature japonaise, je ne cesse de m'émerveiller de sa puissance enveloppée de douceur.

 Les 238 pages de ce livre se lisent d'une traite, au rythme de la plume incisive, mais aussi caressante, d'Akira Mizubayashi. Écrivain japonais, il écrit en français, éliminant ainsi les traductions imprécises, souvent approximatives, nuisant à la beauté du texte. "Âme brisée" est l'aventure d'une vie. Celle d'un petit garçon de 11 ans dont l'âme s'est brisée en même temps que celle du violon de son père, victimes, toutes les deux, de la violence aveugle et sourde des hommes. C'est également un conte métaphorique sur l'amour, celui indestructible entre un père et son fils, celui universel de la musique entre les peuples, celui indéfectible entre un homme et une femme et celui, fidèle, entre un chien et son maître.

 Ainsi, j'ai suivi, pas à pas, le petit Rei, tapi au fond de son placard, puis solitaire le long des rues tokyoïtes, accompagné du violon saccagé de son père Yu, et enfin, dans son atelier de luthier en France, acharné dans sa tâche de restauration.

 Lors d'une interview, l'auteur a expliqué la dédicace peu commune qu'il a choisie pour son livre, "À tous les fantômes du monde" : "Le fonctionnement normal de la mémoire est l'oubli et, pour se rappeler un fait, il faut aller en chercher le souvenir. Or, cette fonction est perturbée quand il y a eu traumatisme et la mémoire, incapable d'oublier, engendre des fantômes. Yu devient un fantôme que la mémoire de son fils n'oublie jamais. Ce roman raconte comment le fantôme peut aller au bout de sa mort et disparaître."

 Pour moi, m'immerger dans la littérature japonaise est l'assurance d'aller à la rencontre d'une histoire pleine de sensibilité. Il n'est pas facile d'exprimer ce que la finesse de ce roman réveille au fond de l'âme. Je ne suis ni musicienne, ni peintre, encore moins écrivaine, mais je sais quand une œuvre musicale, picturale ou littéraire me touche. Qu'importe si elle n'a pas la faveur du plus grand nombre, ni de valeur insensée, l'important est l'émotion qu'elle m'apporte. 

 L'adage "La musique adoucit les mœurs" trouve tout son sens dans ce récit subtil où violence et douceur se côtoient. À chaque page, la musique pose un baume sur le cœur de Jacques dévasté par la douleur muette du déracinement. Aller à la rencontre des fantômes de son passé, qui n'ont cessé de l'habiter pendant des années et auxquels, par le truchement de la restauration du violon de son père, il a consacré sa vie, est la meilleure des façons pour les laisser s'en aller avec bienveillance et sérénité pour, enfin, revenir à la vie et respirer librement, en toute quiétude, avec la certitude d'être à la bonne place.

 Le choix des notes par un compositeur pour raconter une histoire, décrire une ambiance ou provoquer une émotion, m'a toujours subjuguée. Akira Mizubayashi donne une interprétation flamboyante d'un mouvement frémissant de la Gavotte en rondeau de Bach : « Les aigus sonnaient comme une longue enfilade de gouttes d'eau pure versées par un ciel bas et tourmenté, étincelant aux premiers rayons du soleil pénétrant obliquement les feuillages verdoyants d'une forêt boréale luxuriante, tandis que les médiums et les graves étaient comme ouatés, glissant sur une étendue de velours, suscitant une impression de chaleur intime émanant d'une cheminée de marbre restée allumée toute la nuit. La musique avançait, revenait, montait, descendait avec une liberté euphorique ; elle faisait penser à une danse joyeuse et sautillante qui semblait exprimer le bonheur de marcher dans un paysage enchanté. »

 J'ai aimé tant de choses dans ce roman. Le couple Jacques/Hélène, lui luthier, elle archetière. Ils ont besoin l'un de l'autre, comme l'union des instruments qu'ils créent pour donner naissance à la musique. Les relations entre les personnages et leurs descendants à des décennies d'écart. Le précieux legs à la génération suivante comme un témoin de la puissance de la Musique contre la Barbarie, malgré le passage du temps entre la petite fille d'un militaire mélomane et le fils d'un musicien muselé.

 En quatre parties et deux mouvements, l'auteur écrit une symphonie d'émotions incroyable. Ses mots sont entrés dans mon cœur en écoutant "Rosamunde", l'œuvre bouleversante de Schubert. Pour les amateurs, il serait dommage de ne pas allier les deux plaisirs, la lecture et l'écoute. 

 "Âme brisée" est un bijou de littérature blanche, lumineux, résolument optimiste, mais aussi un plaidoyer subtil, empreint d'humanité, contre l'obscurantisme.  C'est un immense coup de cœur dont il a été difficile de m'extraire pour passer à autre chose tant j'ai été bouleversée par la force allégorique, la beauté et le romantisme de ce récit. Merci Monsieur Mizubayashi, pour ce moment rare et précieux où l'âme a l'impression de tutoyer les étoiles.

 

 Extraits et citations :

* « Je suis Chinois, je parle chinois, mais je me considère avant tout comme un individu libre de ses appartenances. Je m'efforce de me persuader que je suis d'abord un être humain avant d'être un Chinois. De la même manière, je n'assimile pas non plus mes amis japonais à leur pays. J'aimerais croire à un lien d'amitié qui va au-delà des antagonismes nationaux. »

* « La musique traverse les frontières, c'est le patrimoine de l'humanité... »

* « Au lieu d'être le lieu d'une expérience personnelle intérieure, la musique militaire enlevait à l'homme son essence individuelle. »

* « Je pense que pour Philippe, la langue, en l'occurrence le français, est un bien commun que ses usagers partagent équitablement. Les relations sociales de supériorité et d'infériorité ne sont pas encastrées dans la langue... comme dans le cas du japonais. »

 

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