"Le laboureur et les mangeurs de vent" de Boris Cyrulnik

 Éditions Odile Jacob - 2022 - 260 pages

 ISBN 9782415001360

 L'auteur :

Est-il encore utile de présenter cet homme d'une simplicité déroutante ? Né à Bordeaux en 1937, Boris Cyrulnik est un neurologue, psychiatre, éthologue et psychanalyste français. Il est né d'une mère polonaise et d'un père russo-ukrainien, émigrés en France en 1930 pour fuir les pogroms d'Europe orientale. Enfant, il connaît la violence du nazisme, déterminé à exterminer les Juifs. Ses parents ayant disparu dans les camps de la mort, il est élevé par une tante. Il déclare être devenu psychiatre à cause de ce traumatisme.

Il complète ses études de médecine avec l'éthologie et diversifie sa formation. Cabinet particulier, chargé de cours universitaires, il dispense son savoir et le fruit de ses recherches, développant le concept de "Résilience" (renaître de sa souffrance). À partir de 1980, il publie des livres ayant pour objectif de vulgariser sa spécialité, souvent et peut-être volontairement maintenue hors de portée, dans un langage simple et facilement compréhensible par tous.

 Il est membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence, militant serein pour la mémoire de la Shoah.

 4e de couverture :

« À 7 ans, j’ai été condamné à mort pour un crime que j’ignorais. Ce n’était pas une fantaisie d’enfant qui joue à imaginer le monde, c’était une bien réelle condamnation. » B. C.

Boris Cyrulnik a échappé à la mort que lui promettait une idéologie meurtrière. Un enfant qu’on a voulu tuer et qui toute sa vie a cherché à comprendre pourquoi, pourquoi une telle idéologie a pu prospérer.
Pourquoi certains deviennent-ils des « mangeurs de vent », qui se conforment au discours ambiant, aux pensées réflexes, parfois jusqu’à l’aveuglement, au meurtre, au génocide ? Pourquoi d’autres parviennent-ils à s’en affranchir et à penser par eux-mêmes ?
Certains ont tellement besoin d’appartenir à un groupe, comme ils ont appartenu à leur mère, qu’ils recherchent, voire chérissent, le confort de l’embrigadement. Ils acceptent mensonges et manipulations, plongeant dans le malheur des sociétés entières.
La servitude volontaire engourdit la pensée. « Quand on hurle avec les loups, on finit par se sentir loup. » Penser par soi-même, c’est souvent s’isoler. Seuls ceux qui ont acquis assez de confiance en soi osent tenter l’aventure de l’autonomie.
Au-delà de l’histoire, c’est notre présent que Boris Cyrulnik éclaire.

À travers sa tragique expérience de vie, hors des chemins battus, Boris Cyrulnik nous montre comment on peut conquérir la force de penser par soi-même, la volonté de repousser l’emprise, de trouver le chemin de la liberté intérieure.

Un livre profond et émouvant. Un livre fondateur.

 Mon avis :

 Le dernier livre de Boris Cyrulnik est une longue réflexion sur l'individualité offrant la liberté de penser et d'agir en nom propre et, a contrario, la servitude induite par le groupe. Cette dernière implique soumission et obéissance à un leader. Elle ouvre les portes de la manipulation, cependant elle est confortable puisqu'elle transforme l'individu en suiveur. Il n'a plus besoin de se battre pour démontrer ses idées, le phénomène de masse confirme le bien-fondé de son point de vue. Le nombre serait donc synonyme de Vérité !

 Encore une fois, le célèbre neuropsychiatre démontre comment les Hommes sont capables du pire comme du meilleur, n'apprenant jamais rien de son passé de façon aberrante ! Pourtant, les premières années de la vie d'un enfant et les conditions dans lesquelles elles se sont déroulées sont déterminantes pour l'avenir de l'adulte. Cependant, chacun est en capacité de réagir. Les victimes d'hier ne sont pas toutes devenues les bourreaux d'aujourd'hui.

 Boris Cyrulnik a une qualité extraordinaire qui me séduit à chaque fois, il sait communiquer avec simplicité, sans emphase, pour rendre accessible son savoir à tous. Autant écouter sa voix douce et mesurée est apaisant, autant le lire est agréable et facile, apportant parfois des réponses aux questions restant en suspens.

 L'analyse du comportement humain effectuée par l'auteur est claire et effrayante. S'il fait fréquemment référence à son passé et à l'attitude des Hommes lors de la Seconde Guerre mondiale avec cette effroyable constatation : « À 7 ans, j'ai été condamné à mort pour un crime que j'ignorais. » , il déborde largement sur tous les régimes totalitaires. Cette observation se transpose aisément aux comportements contemporains, car il explique, de façon facilement compréhensible, les raisons pour lesquelles de plus en plus de gens sont attirés par les discours enjôleurs des Extrêmes, ou comment la jeunesse peut être séduite par les mouvements djihadistes ou autres.

  Le décryptage qu'offre "Le laboureur et les buveurs de vent" permet de redoubler de vigilance à l'époque qui est la nôtre, de ne jamais penser avec suffisance que les horreurs font partie du passé. Dans les chapitres à venir de l'humanité, la violence est toujours là. Il y a de nouvelles pages d'atrocités s'écrivant tous les jours, sur tous les continents. C'est à chacun d'entre nous de décider si nous voulons être des buveurs de vent en faisant partie de l'asservissement des masses, devenir des suiveurs obéissants et soumis ou si nous voulons garder les pieds solidement ancrés dans la réalité, comme le laboureur, préservant notre liberté en ne succombant pas à la pensée unique si pratique et si douillette. 

 Extraits et citations :

* « C'est dans l'enfance qu'on pose les problèmes fondamentaux avec lesquels on fait sa vie. »

* « Quand les paroles sont des armes, on se tait pour se protéger. »

* « L'emphase qui mène à l'utopie s'oppose au plaisir des laboureurs qui découvrent la richesse du banal. »

*  « Quand les récits font revenir l'horreur, sans la métamorphoser, la répétition des mots fait saigner la mémoire. Parler fait souffrir, alors autant se taire quand personne ne vous écoute. »

* « Je croyais qu'un fait scientifique découvrait la vérité, alors que je pense aujourd'hui qu'un fait scientifique est fait par un scientifique. Ce n'est pas un mensonge, ce n'est pas une erreur, c'est un segment du monde éclairé par la méthode du chercheur, autant que par son âme. [...] Le fait scientifique est fait par un scientifique qui n'échappe pas à sa vision du monde et le lecteur interprète le fait selon ses désirs pas toujours conscients. »

* « Méfions-nous de ce qui tranquillise trop, ça engourdit la pensée. »

* « Quand on accepte comme une parole intouchable la vérité venue d'un chef religieux, idéologique ou scientifique, il n'y a ni évaluation ni culpabilité : l'ordre règne. Et quand la réalité devient insupportable, on évite les mots qui auraient permis de la voir. »

* « Quand on hurle avec les loups, on finit par se sentir loup. »

* « Quand la littérature scientifique tâtonne, les écrits totalitaires claironnent. »

* « C'est très avantageux de refuser de voir et d'accepter sans réfléchir ce qu'on vous demande de croire. La servitude volontaire mène à la certitude volontaire. »

* « Il faut douter pour explorer. La certitude arrête la pensée et routinise la récitation. »

* « La fonction affective de la parole peut nous jouer un vilain tour quand un dictateur s'en sert pour cloner les âmes. »

* « Le choix est clair, mais il est douloureux. Ceux qui s'engagent sur le chemin de la liberté intérieure perdront leurs amis. [...] Penser par soi-même, c'est s'isoler : l'angoisse est le prix de la liberté. »